Publié le 21 août 2015
ENTREPRISES RESPONSABLES
Reporting intégré : les raisons du retard français
Document de synthèse qui présente de façon concise la vision prospective de l’entreprise, ainsi que sa stratégie et ses performances financières et ESG sur le moyen et long terme, le reporting intégré a des adeptes dans le monde entier. Plus de 3 000 entreprises ont franchi le pas. Mais seulement très peu en France. Pourquoi ? Éléments de réponse.

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Au mois de mars, une enquête de Paris Europlace sur une trentaine d’entreprises (dont la moitié du CAC 40) constatait le manque d’allant des entreprises françaises sur le reporting intégré (RI). Si elles connaissaient l’initiative de l’IIRC (International Integrated Reporting Council) seules trois d’entre elles déclaraient être engagées dans une expérimentation : Engie (anciennement GDF-Suez), qui s’est fortement inspirée de la démarche sans y participer, pour son rapport de 50 pages ; Vivendi, qui a réalisé un projet pilote de trois pages axé sur la diversité culturelle dans son document de référence 2014 ; et Danone, qui a annoncé une publication en ligne pour l’an prochain. Si d’autres, comme Sanofi, BNP Paribas, Atos ou Mazars travaillent aussi sur le sujet, la liste reste tout de même très courte.
Le reporting intégré, un objectif nouveau
"Trop complexe et chronophage" ou "trop coûteuse" avancent les entreprises françaises pour expliquer leur manque d’entrain. Et pourtant, "ce sont sans doute celles qui sont le mieux armées pour le faire, parce qu’elles ont été les premières à s'engager dans ce type de démarche. Mais cela peut aussi les avoir enfermées dans une logique spécifique", souligne Philippe Peuch-Lestrade, vice-président de l’IIRC.
Grâce aux lois de nouvelles régulations économiques (NRE) et celles issues du Grenelle de l'environnement, les grandes entreprises sont soumises à des obligations de reporting environnemental et social depuis plus de dix ans. Manier des indicateurs extra-financiers ne leur pose donc aucun problème, mais le reporting intégré change la finalité de l’exercice.
En effet, l’objectif n’est pas simplement de collecter des données (en constante inflation) mais bien de donner une vision globale et intelligible du business model, de la stratégie, de l’organisation et de la gouvernance de l’entreprise, avec un nombre restreint mais choisi d’indicateurs pertinents pour son écosystème. Des indicateurs qui permettent d’expliquer la création de valeur à court, moyen et long termes.
Se saisir de l'outil pour définir la création de valeur
Ces indicateurs relèvent de ce que les investisseurs appellent la "matérialité", c'est-à-dire des sujets dont le coût est mesurable pour l’entreprise, à l’image du climat pour les producteurs d’énergies fossiles.
Le reporting intégré devrait donc être l’outil idéal du dialogue entre entreprises et actionnaires. Or, en n’adoptant pas cette démarche, les entreprises laissent leurs actionnaires définir les critères dits "matériels" sur lesquels ils fondent leurs évaluations.
"C’est pourtant aux entreprises de définir les points clefs sur lesquels repose leur création de valeur" explique Robert Eccles, professeur à Harvard et promoteur du concept "One report", en visite à Paris. "Elles doivent être à même de l’expliquer à leurs actionnaires, et de faire porter la définition de cette stratégie par le conseil d’administration." Il ajoute : "L’une des plus grandes vertus de ce travail est d’obliger les directions financières, celles des ressources humaines ou encore des achats, sans oublier la RSE, à dialoguer pour construire ensemble ce reporting intégré".
Engie (anciennement GDF-Suez), pionnière en France, a mis un an, dont plusieurs mois de consultation avec une cinquantaine de parties prenantes (investisseurs ISR et analystes, ONG, grands comptes, fournisseurs, sous-traitants, collectivités locales, actionnaires individuels, salariés) avant de publier un rapport de moins de 50 pages, en février 2015.
Et si la démarche est aujourd'hui mise en avant par le groupe, il faut souligner que la direction financière "ne s’y est pas engagée de gaieté de cœur", avouait Marie Gérard, la vice-présidente du management et de la performance RSE d’Engie, lors d’une conférence de l’Executive MBA ESSEC le 11 juin dernier.
Redonner du sens à la communication financière et extra-financière
Chez Vivendi, qui a lancé son projet pilote de RI en 2013, on explique que le coût est relativement minime. Peut-être parce que le reporting intégré est la "suite logique" d’une démarche entamée en 2003. "Nous faisons depuis longtemps le lien entre la RSE et la création de valeur. En tant que media, nos enjeux RSE sont assez spécifiques. Par exemple, il nous a fallu expliquer dès 2006 en quoi la diversité culturelle était à la fois au cœur de notre responsabilité et source de valeur pour Vivendi, notamment lors de road shows organisés pour nos investisseurs. Les directions financières du groupe étaient donc déjà mobilisées", rapporte ainsi la directrice de la responsabilité sociétale du groupe, Pascale Thumerelle.
Le jeu en vaut la chandelle. "C’est très mobilisateur en interne. Et pour les parties prenantes externes, cela leur permet d’avoir une vision synthétique de l’entreprise, de sa stratégie et de ses missions. Cela permet de donner de la chair aux chiffres financiers", reprend-elle. Un groupe de travail régulier va d’ailleurs travailler à partir de juillet pour approfondir la réflexion sur le RI et les bénéfices apportés aux différentes parties prenantes du groupe.
Même satisfecit chez Danone, qui travaille à la publication d’un rapport intégré, sous forme de site internet prévu pour l’an prochain : "La qualité de démonstration devrait être bien meilleure que celle du rapport développement durable que nous publiions jusqu’à présent, et qui sera du coup inutile. En interne, la démarche du RI est aussi un outil superpuissant de mobilisation, car il permet de comprendre de façon très structurée le business model de l’entreprise et là où elle veut aller."
"Aujourd’hui, plus personne ou presque ne lit les centaines de pages de reporting produites par les entreprises. Le reporting intégré, en retenant 6 capitaux de l’entreprise [financiers, industriels, humains, intellectuels, naturels et sociaux, ndlr], redonne du sens à la communication financière de l’entreprise. Il donne une vision claire et concise de la stratégie, de sa valeur et donne les éléments pour se projeter dans le temps", estime de son côté Laurent Maheo, le président de la DFCG (Association Nationale des Directeurs Financiers et de Contrôle de Gestion) en Île-de-France.
"C’est un bon outil pour se poser les bonnes questions", abonde Stéphane Voisin, responsable de la recherche ESG chez Kepler-Cheuvreux. "Mais la plupart des reporting intégrés sont encore décevants. Ils restent très conceptuels et les enjeux sont mal adressés."
Les entreprises françaises relèveront-elles le défi ? Ce serait d’autant plus cohérent que le reporting intégré est devenu obligatoire dans certains pays, comme l’Afrique du Sud, et que la directive européenne sur le reporting extra-financier les pousse dans cette voie.
Cet article a initialement été publié dans la lettre professionnelle de Novethic "L'essentiel de la RSE" n°110, juillet 2015