Publié le 18 janvier 2018
ENTREPRISES RESPONSABLES
Lactalis, un modèle opaque à contre-courant de la transparence exigée par la société
Alors que des perquisitions ont eu lieu au siège de Lactalis à Laval et dans l'usine de Craon (Mayenne), le groupe connu pour son manque de transparence, tente de donner le change avec un mea culpa dans une interview inédite dans la presse. Mais cela ne suffira pas. Avec cette affaire, le leader mondial du lait risque de payer au prix fort son opacité et l'absence de politique de responsabilité sociale et sociétale.

Jean-François Monier AFP
Il compte 75 000 salariés à travers 85 pays, 246 sites de production, pèse plus de 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires et fabrique quelques-uns des produits préférés des Français (Camembert Président, roquefort Société, mozzarella Galbani, feta Salakis, crème fraîche Bridelice, beurre Bridelight, lait Lactel...).
Pourtant, derrière l’empire Lactalis, leader mondial du lait... Quasi-impossible de mettre un visage. Et pour cause, Emmanuel Besnier dirige le groupe familial depuis près de 18 ans dans la plus grande discrétion, suivant la tradition imposée avant lui par son père. En août 2016, Stéphane Le Foll, alors ministre de l'Agriculture, déclarait alors à son sujet : "On ne le voit jamais. Je ne l'ai jamais vu. Je n'ai pas son portable."
Un management de l'ancien monde
En pleine crise du lait contaminé aux salmonelles, le patron a refusé de se rendre à une première convocation. Il s'est déplacé finalement à Bercy le 12 janvier... Six semaines après le début du scandale. Dimanche 14 janvier, contraint et forcé, celui qui possède la huitième fortune de France, s'expose enfin au grand public dans une interview dans le Journal du dimanche où il promet d’indemniser toutes les familles de victimes.
Mais, pour la société civile et les consommateurs, il est trop tard. "Nous sommes passés de l’incident, à l’accident, puis au déni. C’est ça qui ne passe pas. On ne dit pas qu’il ne doit pas y avoir d’erreur, mais qu’il faut les gérer au mieux dans l’intérêt de la Société et non pas de l’entreprise", commente Patrick d’Humières, consultant et expert de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
"Lactalis paye son management de l’ancien monde, sans rendre de comptes, sans dialoguer, sans négocier et sans collaborer avec ses parties prenantes. Ça ne tient plus ! D’autant que le management du monde de demain, incarné par exemple par Danone, le disqualifie. On aurait sans doute davantage pardonné à Emmanuel Faber (PDG de Danone reconnu pour son engament sociétal, ndlr) qu’on est prêts à le faire avec Besnier ".
Confrontation, opacité et cartels
Lactalis est en bras de fer permanents avec les producteurs de lait, dont il consomme 20 % de la production en France. "L’entreprise est à 100 % familiale et fonctionne sur un mode conflictuel, très frontal. Les éleveurs sont traités comme des "fournisseurs de minerai" selon leur propre expression, coincés dans un marché en stagnation où il est difficile de trouver des collecteurs et des débouchés", témoignait Elsa Casalegno, journaliste à La France agricole, dans un entretien à Novethic.
Par ailleurs, comme à son habitude, l'entreprise n’a pas publié ses comptes au 31 décembre 2017 alors que la loi l’y oblige. Elle préfère le risque d'une amende, qui s’élève jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires par jour de retard ! En mars, une plainte a été déposée devant le tribunal de commerce de Laval et Rennes, pour obtenir la publication des comptes... Mais le tribunal de Laval, ville où est implanté le siège du groupe, s’est déclaré incompétent, car un de ses juges est aussi salarié de Lactalis.
Le géant laitier est de plus cité dans de nombreuses affaires de cartels du lait ou du yaourt, pénalisant les producteurs. Il a même été condamné en 2015 pour entente illicite sur les prix.
Le modèle durable et responsable est le seul légitime
"Le manque de transparence de Lactalis induit de la défiance et de l’incompréhension en cas de crise. Il va être d’autant plus difficile désormais de remonter la pente, analyse Farid Baddache, directeur général du réseau BSR (Business for Social Responsibility). Mais au-delà de la question éthique, c’est la question de la capacité de l’entreprise à être compétitive qui se pose."
"Ce que reflète finalement ce scandale est un changement de paradigme majeur que nous avons opéré ces dernières années. Désormais les entreprises qui continuent d’agir comme Lactalis se mettent en très grand danger. Elles risquent de payer leur manque de RSE au prix fort. Le modèle de management durable et responsable est devenu le seul légitime", complète Patrick d’Humières.
Le cas d’école Lactalis éclairera sans doute le débat autour de la future loi sur l’entreprise qui prévoit de modifier le code civil pour y introduire l’objet social de l’entreprise. Une mesure qui est d'ailleurs ardemment défendue par le président de Danone !
Concepcion Alvarez @conce1
Voir le rapport de BSR sur la culture éthique