Publié le 30 janvier 2015
ENTREPRISES RESPONSABLES
Loi sur le devoir de vigilance des multinationales : quel avenir pour le texte ?
La proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères vis-à-vis de leurs filiales et sous-traitants a été renvoyée en commission, jeudi 29 janvier, lors de son examen en séance publique à l’Assemblée nationale. La coalition des quatre groupes parlementaires qui avaient chacun déposé le même texte en 2013 s’est fissurée quelques jours avant le vote. Un nouveau texte inspiré par Bercy est porté par les députés socialistes.

Assemblée nationale
C’était à prévoir depuis que la Commission des lois avait rejeté le texte le 21 janvier dernier. La proposition de loi (PPL) sur le devoir de vigilance des sociétés mères vis-à-vis de leurs filiales et sous-traitants, examinée le jeudi 29 janvier lors de la niche parlementaire écologiste, a été renvoyée en commission sur proposition du gouvernement. Le scrutin a néanmoins été serré: 21 votes pour et 17 contre.
Tous d'accord sur l'urgence d'instaurer un devoir de vigilance effectif
"Nous partageons le diagnostic et les objectifs de ce texte: prévenir de nouveaux drames pour améliorer la prévention et la gestion des risques liés à l’activité des multinationales. Nous sommes d’accord pour que le droit de vigilance soit enfin reconnu en droit français.
La France doit continuer à avoir son rôle d’éclaireur et porter une proposition auprès de ses pays partenaires, qui pourrait devenir une référence internationale. Nous devons mieux prévenir, mieux réparer, mieux sanctionner", a assuré Matthias Fekl, le secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur, à la tribune de l’Hémicycle où il représentait le gouvernement.
"Il faut légiférer. Nous ne sommes pas les adversaires du texte proposé, il y a une volonté commune exprimée aujourd’hui pour avancer. Mais il faut résoudre les difficultés juridiques soulevées [par cette proposition de loi] et permettre sa traduction sur le terrain. Le renvoi en commission n’est pas un report sine die."
Un nouveau texte est en effet en préparation. Initié par Bercy, où le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, "suit personnellement" le dossier, selon Matthias Fekl, il a circulé dans les jours précédant l’examen en séance publique. Mais il est encore loin de faire l’unanimité.
Une deuxième version censée corriger les problèmes techniques et juridiques
Pour le gouvernement, la proposition de loi pose des questions juridiques et techniques: "en termes de compatibilité avec les principes généraux du droit de la responsabilité" d’abord, et "avec les règles du droit international privé" ensuite.
Ce qui risque de priver la loi "d’effectivité", a souligné Matthias Fekl. Le nouveau texte s’articulerait autour de deux axes: l’instauration d’un devoir de vigilance avec l’obligation de mettre en place "un plan de vigilance" couvrant tous les domaines de la responsabilité des entreprises et prévoyant des procédures de prévention des risques, ainsi que l’adoption d’un système de vérification par un juge et, si besoin, de sanctions par astreinte pour faire respecter cette obligation.
"Grâce à ce dispositif, la méconnaissance par une société de son devoir de vigilance pourra être invoquée devant le juge à l’appui d’une action en réparation fondée sur le régime de responsabilité civile de droit commun. Un double système de sanction, robuste juridiquement, serait ainsi prévu: l’un reposant sur une sanction spécifique aux entreprises qui se refuseraient à mettre en place un plan de vigilance puis à l’appliquer, l’autre s’appuyant sur le droit commun de la responsabilité en cas de dommage causé", juge ainsi Matthias Fekl.
Des interrogations à lever sur le nouveau texte
Ce nouveau texte ne fait cependant pas encore l’unanimité. Au sein du parti socialiste, Philippe Noguès, co-initateur de la PPL avec Danielle Auroi et Dominique Potier, y pose trois conditions: qu’un calendrier soit fixé pour que le nouveau texte se discute sans délai, l’intégration d’un volet prévention et réparation, en faisant le maximum pour que le droit permette de remonter la chaîne de responsabilité et son effectivité. Enfin, qu’un travail de concertation avec les autres parties et la société civile – notamment la Plateforme RSE qui a déjà travaillé sur le sujet –, soit mené. Des conditions auxquelles Matthias Fekl s’est montré favorable.
Mais chez les écologistes notamment, la pilule a du mal à passer. Si Danielle Auroi, rapporteur écologiste de la PPL, a bien "entendu que le gouvernement – qui s’est réveillé tardivement –voulait agir", il ne l’a "pas rassurée". Selon elle, le nouveau texte "manque encore de clarté, notamment en ce qui concerne la question de la réparation. Par ailleurs, le fait que l’on se cantonne au droit commun est problématique."
"L'élément central du texte initial, à savoir la reconnaissance de la responsabilité juridique des sociétés mères et donneuses d'ordre sur les activités de leurs filiales et sous-traitants accompagnée d'un renversement partiel de la charge de la preuve, est complètement évacuée, expliquent ainsi les ONG engagées pour le devoir de vigilance, dont l’association de juristes Sherpa. Pour être effective, l'obligation de vigilance doit être assortie de sanctions en cas de manquement et de survenance d'un dommage. Or cette sanction ne peut pas reposer sur le régime de responsabilité civile de droit commun, lequel induit un parcours jonché d'obstacles pour les victimes qui n'obtiennent jamais réparation."
La rapporteure du texte regrette également ne pas avoir été associée immédiatement au second projet de rédaction: "Bercy ne retrouve visiblement pas mon numéro; je n’ai eu connaissance de la deuxième version du texte que (mardi) à 13 heures !"
Une semaine pour déposer un nouveau texte
La première mouture de cette deuxième version avait crispée les écologistes et la société civile (avec notamment le Forum citoyen pour la RSE qui réunit les organisations non gouvernementales, syndicats et experts sur les questions de RSE et est également à l’initiative de la première proposition de loi), car elle s’apparentait selon eux à une simple extension du reporting extra-financier qui demande aux grandes entreprises plus de transparence sur leurs actions environnementales, sociales et de gouvernance (Critères ESG). Assez proche de ce que demandaient les organisations patronales.
Le nouveau texte s’est visiblement amélioré au fil des discussions mais les négociations devraient se poursuivre la semaine prochaine: "les socialistes ont à peu près une semaine pour déposer un nouveau texte si l’on veut qu’il soit examiné dans leur niche parlementaire fin mars. S’il remplit toutes nos conditions, on en sera. Mais s’il est moins solide, c’est hors de question", précise Danielle Auroi.
Le député socialiste Dominique Potier, qui travaille avec Bercy, se veut rassurant: "je ne cautionnerais jamais un scenario qui soit un leurre ou un texte moins solide", assurait-il à Novethic il y a quelques jours. Mais il y a deux écueils dans lesquels il ne faut pas tomber, a-t-il rappelé dans l’Hémicycle jeudi: "renoncer à faire une loi, et faire une loi factice, une loi d’illusion".
Favoriser l'accès des victimes à la justice : un souhait des Français
Dans un communiqué commun avec Philippe Noguès à l’issu du renvoi en commission, ils expliquent: "Nous envisageons ce renvoi en commission comme une étape décisive du combat que nous menons et non comme un recul sur le fond. Le nouveau texte devra aborder à la fois la prévention et la réparation des dommages et faire évoluer le droit de la responsabilité dans le but de favoriser l’accès des victimes à la justice."
Les politiques sont attendus sur cette question par les Français. Selon un sondage effectué fin janvier pour le Forum citoyen pour la responsabilité sociale des entreprises (FCRSE), ils sont très majoritairement (76%) en faveur d’une responsabilité juridique des multinationales pour les accidents graves en termes de droits de l’homme ou d’atteinte à l’environnement provoqués par leurs filiales et sous-traitants. Une pétition lancée sur la plateforme citoyenne Avaaz par le FCRSE pour demander aux députés de soutenir la proposition de loi a également réunit plus de 135 000 signatures.
Mis à jour le 13 février 2015:
Le groupe socialiste à l'Assemblée nationale a déposé le 12 fevrier une nouvelle proposition de loi. Elle sera examinée en séance plénière le 30 mars. Cette nouvelle proposition de loi est portée par le seul Dominique Potier (PS).
Elle comprte 3 articles portant essentiellement sur la mise en place d'un plan de vigilance préventive pour les entreprises de plus de 5 000 salariés et sur la responsabilité civile des sociétés concernées par un dommage qu'elles auraient raisonablement pu éviter.