Publié le 13 novembre 2017
ENTREPRISES RESPONSABLES
Paradise Papers : légal mais scandaleux !
Depuis début novembre, les Paradise Papers livrent chaque jour leurs révélations sur les plans d’optimisation fiscale agressifs de multinationales et milliardaires. Contrairement aux scandales révélés par les Panama Papers il y a deux ans, ces plans ont beau être légaux, l’opinion publique et les acteurs politiques ne les tolèrent plus.

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"Les Panama Papers étaient le scandale de l'illégalité". Avec les Paradise Papers, "on est dans quelque chose de plus élaboré, nous sommes sur des schémas légaux", déclarait Pascal Saint Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE, à France Inter le jour de la sortie des Paradise Papers.
Ce "scandale de la légalité" révélé par les Paradise Papers, c'est celui du recours massif par les multinationales et les plus fortunés à des pratiques d’optimisation fiscale dites agressives - soit des montages financiers et juridiques destinés uniquement à des fins fiscales - mais légales. Or cette légalité, derrière laquelle les accusés se retranchent invariablement, est de plus en plus difficilement acceptée par les populations et les investisseurs. Et de plus en plus difficilement tenables par les régulateurs.
Il faut dire que les Paradise Papers interviennent après toute une série de révélations : les SwissLeaks, LuxLeaks et autres Panama Papers...
Toutes ont été des étapes fortes dans la lutte contre l’évasion fiscale. Grâce à leur ampleur et leur précision, elles ont mis en lumière que, loin d’être des pratiques isolées, propres à des secteurs ou assimilables à des dysfonctionnements, l'utilisation de ces mécanismes fiscaux -légaux ou illégaux- sont au cœur du système économique et financier.
Selon l’économiste Gabriel Zucman (1), 45 % des profits des multinationales seraient délocalisés dans des paradis fiscaux. Si l'on y ajoute les pratiques des particuliers, l'évasion fiscale représente chaque année près de 350 milliards d'euros de manque à gagner pour les États.
La médiatisation, l'incarnation indispensable du système
Parmi les entreprises incriminées par les Paradise Papers: Google, Glencore, Nike, Apple ou Engie… Ce "name and shame" (Nommer et dénoncer) est une force essentielle de ces révélations journalistiques car il permet d'incarner ce système qui s’épanouit grâce à sa nature dématérialisée et invisible. En dévoilant au grand jour l'inégalité devant l'impôt et la loi ainsi que le lien entre dumping fiscal et le dumping social (voir le cas Whirlpool), ces scandales rendent ces pratiques injustifiables aux yeux de l'opinion publique.
Les investisseurs engagés dans des démarches responsables ne s’y sont pas trompés. Face à la montée des risques de réputation, juridiques et réglementaires qui se sont multipliés à la faveur de ces différents scandales, ils sont de plus en plus nombreux à s’interroger et à interroger les entreprises dans lesquelles ils investissent.
De l'éthique au droit dur ?
Cantonnée au domaine de l’éthique puis entrée dans le champ de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), la problématique de l’optimisation fiscale agressive, pourrait-elle donc entrer progressivement dans l’illégalité? "Aujourd’hui, ces schémas sont pour la plupart légaux, mais l’objectif c’est bien de changer la loi. Nous regarderons si certains des schémas des Paradise Papers ne seraient pas susceptibles d’échapper aux nouvelles règles", a ainsi déclaré Pascal Saint Amans de l'OCDE, au journal Le Monde.
"A la lumière de ces nouvelles révélations choquantes", le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a lui appelé les États membres à "adopter rapidement la liste des paradis fiscaux, assortie de sanctions dissuasives, ainsi qu’une législation européenne encadrant les intermédiaires fiscaux. C’est moralement indispensable et politiquement urgent".
La force médiatique des scandales a notamment permis d’adopter le fameux BEPS (érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices), un dispositif de lutte contre l’optimisation fiscale abusive des entreprises, poussé par l’OCDE. Mais ces dispositions doivent encore être mises en œuvre. Et surtout renforcées. Parmi les demandes des acteurs les plus exigeants : la transparence sur les bénéficiaires des sociétés offshore, une liste noire des paradis fiscaux crédible c'est à dire intégrant les pays cités dans les Paradise Papers comme les Pays-Bas, et enfin le reporting public pays par pays des données fiscales des entreprises.
Ces mesures sont indispensables car l'inventivité et l'agilité des multinationales et de leurs intermédiaires rend la tâche des régulateurs et de la justice extrêmement complexe. Comme le souligne le juge du pôle financier de Paris Eric Van Ryumbecke au Monde, pour l’instant, "on est dans une guerre du chat et de la souris, et la justice a toujours une guerre de retard".
Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) les chiffres sont issus d'une étude spécifiquement réalisée par Gabriel Zucman pour le Consortium International des journalistes d'investigation qui ont révélé les Paradise Papers.