Publié le 19 novembre 2014
ENTREPRISES RESPONSABLES
Manuel Valls "soutient" la proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales
La question de la responsabilité des maisons mères revient sur le devant de la scène. Le lundi 17 novembre, le Premier ministre, Manuel Valls, a déclaré "soutenir" la proposition de loi sur le devoir de vigilance déposée l’an dernier par des députés de la majorité. Ce même jour, la directive européenne sur le reporting extra-financier était publiée au Journal officiel. Elle instaure une obligation de transparence pour les maisons mères.

© AFP/Joel Saget
Un an après avoir été déposée à l’Assemblée nationale, la proposition de loi sur le devoir de vigilance s'inscrit à nouveau dans l’agenda politique. C’est en marge du colloque "la RSE en actes", organisé le lundi 17 novembre au Conseil économique social et environnemental, que le Premier ministre, Manuel Valls, a déclaré – en réponse à une question de Novethic – " soutenir" le texte qui encadre la responsabilité des maisons mères vis-à-vis de leurs filiales et de leurs sous-traitants.
"Je suis allé voir Manuel Valls pour le remercier d'avoir engagé le dialogue sur cette question, rapporte Dominique Potier, l’un des députés à l’initiative de la proposition de loi (PPL). Des rendez-vous sont pris pour que l’on puisse s’entendre sur un texte d'ici la fin de l’année. J’ai bon espoir que l’on aboutisse à un texte répondant à nos attentes et qu’il soit voté au premier trimestre 2015", s’enthousiasme le député de Meurthe-et-Moselle.
Un texte qui fait son chemin dans les esprits
Cette proposition de loi a été déposée initialement le 7 novembre 2013 par trois députés de la majorité fortement engagés dans la promotion de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) - Danielle Auroi (EELV), Dominique Potier (PS) et Philippe Noguès (PS) - puis par les groupes radicaux et communistes. Elle est soutenue par des organisations non gouvernementales (ONG et 5 syndicats (FO, CFE-CGC, CFDT, CFTC et CGT).
Les auteurs de la proposition entendent créer un devoir de vigilance ("due diligence", en anglais dans les textes internationaux) pour les maisons mères et les donneurs d’ordres français vis-à-vis de leurs filiales mais aussi de leurs sous-traitants à l'étranger. La proposition de loi prévoit d'inscrire une obligation de prévention des dommages sanitaires, sociaux, environnementaux liés aux droits de l'Homme dans le Code du commerce. En cas de manquement, c'est-à-dire quand l'entreprise ne pourra pas justifier qu'elle avait pris les mesures nécessaires de prévention, des sanctions à la fois civiles et pénales seront appliquées.
Cette proposition est cependant très loin de faire l’unanimité. Le Medef et l’Afep (invitée à donner sa position, l’Association française des entreprises privées n’a cependant pas souhaité commenter la déclaration de Manuel Valls) sont vent debout contre une telle réglementation qui, selon elles, manque de solidité juridique et risque de nuire à la compétitivité des entreprises françaises.
Des difficultés que ne minimise pas Dominique Potier: "nous resterons prudents et vigilants jusqu’à ce que le texte soit stabilisé pour qu’il ne soit pas dénaturé. Mais les mentalités changent au sein des ministères, notamment à Bercy, comme au sein des entreprises. Des patrons de grandes entreprises m’ont assuré, à titre personnel, ne pas être contre une évolution de la loi en la matière. L’Afep représente un point de vue, qui n’est pas celui de toutes les entreprises." Des membres de la Plateforme RSE, qui a aussi entamé des auditions sur cette proposition, abondent également dans ce sens.
Une vigilance toujours de mise
Mais le député assure qu’il se montrera également vigilant sur le fait que le texte amendé ou totalement réécrit soit partagé par le plus grand nombre de groupes parlementaires en amont, mais aussi par les ONG et universitaires avec lesquels la proposition initiale avait été élaborée."Cette démarche était tout à fait originale, j’entends qu’elle le reste jusqu’au bout."
De leur côté, les ONG parties prenantes de cette proposition – comme Sherpa, CCFD-Terre solidaire et Peuples Solidaires – ont salué l’annonce du Premier ministre. Le CCFD a ainsi fait de l’adoption de cette loi l’un de ses chevaux de bataille. Le 6 novembre dernier, il enjoignait ainsi à ses adhérents d'écrire à leurs députés pour qu’ils mettent cette proposition de loi à l’ordre du jour. L’enjeu est de taille pour ces associations. "Avec l’adoption de cette loi, la France montrerait la voie d’une mondialisation mieux régulée et respectueuse des droits humains", estime le CCFD-Terre solidaire.
"Cette loi permettrait également aux victimes d’accéder à la justice et d’obtenir réparation, ce qui est aujourd’hui quasiment impossible. (Elle) offrirait aux multinationales une sécurité juridique leur permettant d’exercer leurs activités dans un cadre stable et clair. Certains grands groupes l’ont d’ailleurs bien compris et soutiennent ce texte. Par sa déclaration, Manuel Valls démontre que l’engagement de François Hollande n’était pas qu’une promesse de campagne(1)", écrit l’association de juristes Sherpa. "Nous avons franchi une étape importante mais tout reste à faire. Des points feront forcement débat, comme la question du champ des violations couvert par la loi et la question de la sous-traitance", tempère cependant Mathilde Dupré, chargée du Plaidoyer RSE pour CCFD-Terre solidaire.
A noter que cette déclaration est intervenue le jour de la publication au Journal officiel de la directive européenne sur le reporting extra-financier. Celle-ci fait du reporting une obligation et ne la cantonne plus à une démarche volontaire, elle précise aussi "clairement l’importance stratégique de sujets comme le respect des droits humains et la lutte contre la corruption", soulignait le représentant de la commission européenne, Nicolas Bernier Abad, lors du colloque "la RSE en actes".
(1) Le 12 avril 2012, lors de sa campagne électorale à la présidence de la République, François Hollande a déclaré: "Je souhaite que soient traduits dans la loi les principes de responsabilité des maisons mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales à l’étranger lorsqu’ils provoquent des dommages environnementaux et sanitaires."
Actualisation : le groupe écologiste a décidé d’inscrire la proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales vis-à-vis de leurs filiales et sous-traitants dans le cadre de sa «niche parlementaire» le 29 janvier 2015. C'est ce qu'a annoncé la députée écologiste Danielle Auroi, à l'occasion de la journée internationale des droits de l'Homme le 10 décembre 2014. Parallèlement, le CCFD-Terre Solidaire a lancé une action de mobilisation visant à interpeler les parlementaires et le gouvernement français sur l'urgence d'adopter une telle loi.