Publié le 21 janvier 2015
ENTREPRISES RESPONSABLES
La proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales rejetée en commission des lois
Portée par 4 groupes de la majorité, plusieurs syndicats et des organisations non gouvernementales (ONG), la proposition de loi visant à élargir la responsabilité des sociétés mères sur leurs filiales et leurs sous-traitants à l’étranger a finalement été rejetée. Les membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale ont voté contre, principalement pour des motifs économiques. Elle sera tout de même présentée le 29 janvier aux députés en séance publique.

© Assemblée nationale (capture d'écran)
A l’issu de l’examen en Commission des lois, Danielle Auroi (EELV), la rapporteur du texte, s’est déclarée "surprise" par le rejet de la proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales envers leurs filiales et sous-traitants qu’elle porte depuis deux ans avec d’autres députés de la majorité, comme Philippe Noguès (PS) et Dominique Potier (PS).
"Nous avons rarement l’occasion de voter un texte qui fasse avancer de façon évidente les droits de l’homme. Il s’agit de lutter contre une forme moderne d’esclavage", a déclaré Danielle Auroi lors de sa présentation du texte en Commission. Avec cette proposition de loi, estime la députée, "les multinationales sont amenées à renforcer leurs mesures de prévention tout au long de la chaîne de production, sinon elles risqueront des sanctions. L’Histoire montre que, malheureusement, les bonnes pratiques ne suffisent pas."
Un rejet pour motifs économiques
Pourtant, les députés ont fait front commun contre la proposition de loi, principalement sur des motifs d’ordre économique, déjà relayés par les organisations patronales. "Au moment où les acteurs économiques ont besoin d’être rassurés, où ils ont un besoin de sécurité, notamment juridique, pour leur permettre de surmonter les difficultés de tous ordres auxquelles ils sont confrontés, on pouvait espérer une trêve dans la réglementation asphyxiante et contraignante qu’ils connaissent", a ainsi déclaré Geneviève Levy (UMP). Or, avec ce texte, "on leur envoie un nouveau message de défiance par une présomption de responsabilité automatique particulièrement surprenante dans notre droit de la responsabilité. Les délocalisations et le découragement de nos entrepreneurs sont les conséquences auxquelles nous nous exposons alors même que les entreprises françaises sont déjà très avancées sur le sujet", a souligné la députée UMP.
Côté socialiste, même réserve. Certes, le "texte est tout à fait important dans ses objectifs", reconnaît Anne-Yvonne Le Dain (PS). "Pour autant, reprend-elle, il importe qu’il soit audible au niveau international et, donc, au regard d’autres entreprises de toute nationalité qui pourraient se déployer dans les mêmes pays et chez nous. Il importe donc de pouvoir cibler la nature des entreprises, c’est-à-dire de se concentrer sur les grandes entreprises et multinationales qui ont vraiment des sous-traitants à l’étranger. Le fait de devoir imposer à l’ensemble de la chaîne de sous-traitance une dynamique de responsabilité est également essentiel, de même que le fait de faire référence à l’Union européenne." C’est pourquoi le PS vote contre, de manière à pouvoir proposer un autre texte, a-t-elle précisé.
Un texte alternatif ?
"Ce texte, c’est l’arlésienne, dénonce pourtant le rapporteur, Danielle Auroi. Je n’en ai pas vu la couleur depuis deux ans que cette proposition circule, et elle va apparaître une semaine avant son examen à l’Assemblée ? Certains arguments, comme la restriction du périmètre aux seules grandes entreprises, peuvent se faire par amendements et s’il faut revoir la question pénale, je suis prête à y réfléchir tant que le principe du devoir de vigilance est inscrit dans le code du commerce".
Mais selon l’agence de presse AEF, l’un des autres députés à l’initiative de la PPL, Dominique Potier, serait à pied d’œuvre pour proposer un nouveau texte très rapidement. "Le travail de réécriture a déjà commencé, a-t-il déclaré à l’AEF. La V2 de la PPL sera prête pour fin mars 2015 et nous souhaitons qu’elle rassemble et soit de nouveau portée par les mêmes quatre groupes politiques [SRC, Écolos, GDR, RRDP]. Nous allons nous servir du travail de la plateforme RSE sur le sujet, de l’expertise du gouvernement et de notre propre travail d’auditions".
Si le sort de la proposition de loi, qui sera tout de même présentée lors de la niche parlementaire écologiste du 29 janvier, semble désormais scellé, Danielle Auroi ne veut pas baisser les bras. "Les ONG qui ont travaillé avec nous ne vont pas laisser tomber. Et, quoi qu’il arrive, cette proposition de loi a tout de même le mérite d’avoir soulevé le sujet et de l’avoir rendu visible à l’Assemblée. Les députés ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas."
Les ONG qui sont associées à la proposition de loi (telles que Sherpa, Peuples solidaires, le collectif Ethique sur l’étiquette…) ont, elles, souligné que l’échec de leurs propres actions en justice, contre Samsung (pour travail forcé et d’enfants) ou Auchan (pour le Rana Plaza), rendent justement urgente l’adoption d’une telle loi.