Publié le 13 avril 2018
ENTREPRISES RESPONSABLES
[Décryptage] Entreprise bienveillante ou contributive ne veut pas dire monde des bisounours
Entreprises à mission, entreprises contributives, mouvement pour une économie bienveillante, économie positive, capitalisme responsable… Depuis quelques mois, ces nouveaux concepts, dont les noms peuvent paraître un peu naïfs, font florès. Faut-il y voir les signes d’une "économie bisounours" ? Pas du tout. Cette dynamique est au contraire très en prise avec les défis réels de l’économie future.

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On l’a connue “prédatrice”. On la veut aujourd’hui “contributive”, “positive”, “à mission” ou “bienveillante”. C’est la vision de l’entreprise que portent un nombre croissant d’acteurs économiques et politiques. Elle s’incarne dans un foisonnement de mouvements ou concepts qui émergent depuis quelques temps. En France, leur influence est visible dans la rédaction du projet de loi Pacte sur la transformation des entreprises. Mais la dynamique est mondiale.
Reconnaître le rôle de l'entreprise et ses responsabilités
Ces mouvements n'ont pas tous la même capacité de transformation : certains relèvent juste de la déclaration de bonne intention (ex: Mouvement des entreprises bienveillantes), louable mais peu impliquante, quand d'autres touchent au cœur même de la stratégie de l'entreprise (ex: entreprises à mission). Mais ont tous un même objectif : faire de l’entreprise un acteur majeur de la transformation de la société, prenant mieux en compte l’environnement et les besoins des autres acteurs.
L’entreprise soucieuse du bien commun ? Le concept a de quoi faire se retourner dans sa tombe l’un des économistes qui a le plus influencé l’économie : Milton Friedman... Il assurait que "l'unique responsabilité sociale de l'entreprise est d'accroître ses profits." Une philosophie qui est également celle du code civil français - en cours de modification avec la loi Pacte - l’un des plus favorable au monde à la maximisation du profit.
Ce changement de mentalité serait-il alors le syndrome d’une "vision bisounours" de l’économie ? pas vraiment. La logique, qui se nourrit de celle de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), est loin d’être utopique. Elle est totalement en prise avec les défis auxquels le monde actuel est confronté. Et devient en quelque sorte la nouvelle garantie de l’acceptabilité (licence to operate) et de la survie des entreprises.
Défendant une meilleure prise en compte de l’environnement, l'entreprise à mission, contributive ou bienveillante est en phase avec les défis nés du changement climatique, de la raréfaction des ressources ou de l’érosion de la biodiversité. Défendant une meilleure prise en compte de l’humain, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise, elle est une réponse à la perte de sens de certains salariés et à la défiance grandissante des citoyens envers le secteur privé.
Ne pas se focaliser seulement sur le profit, c'est rentable
Parmi les adeptes de ces concepts, les petites entreprises innovantes, sociales ou en pointe sur la RSE, sont très représentées... Mais ils séduisent bien aux delà des précurseurs d’une économie alternative. On y trouve aussi des poids lourds économiques comme L’Oréal, Danone ou Suez ou des financiers comme le géant BlackRock… Des acteurs que l’on peut difficilement soupçonner de négliger le profit.
"Pour prospérer au fil du temps, toute entreprise doit non seulement produire des résultats financiers, mais également montrer comment elle apporte une contribution positive à la société", écrivait ainsi Larry Fink, le patron du plus grand fonds de gestion mondial, dans une lettre aux patrons des entreprises dans lesquelles il investit.
En France, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, ne dit pas autre chose pour défendre la modification du code civil. Il entend y intégrer les considérations environnementales et sociales ainsi que - de façon facultative - la mention d’une raison d’être pour les entreprises. "Notre objectif est bien de développer la profitabilité des entreprises. Celles qui réussiront le mieux seront celles qui auront développé leur raison d’être. Celles qui ne respecteront pas leur engagements environnementaux ou sociaux seront rayées de la carte", assurait-il lors d'un débat organisé par le Club des juristes et les Echos.
Le couperet de la preuve
La démonstration par la preuve est pour cela cruciale. L’exemple de Facebook est à cet égard édifiant. Dans son audition devant le Sénat américain portant sur sa responsabilité dans l’affaire Cambridge Analytica, son président Mark Zuckerberg, a plusieurs fois réitéré la mission sociale du réseau, celle de “connecter les gens” pour "le bien". “Facebook est une entreprise idéaliste et optimiste. Nous nous focalisons sur tout le bien que la connexion des gens peut engendrer” a-t-il expliqué aux sénateurs. Mais l’intention ne suffit pas.
Comme il l’a reconnu, son entreprise a failli à assurer la sécurité des données personnelles d’une partie de ses 2 milliards d’utilisateurs. Or, il s'agit là d'un point essentiel pour assurer la crédibilité de l'entreprise en matière de responsabilité. Les premiers effets se sont faits sentir sur le cours de bourse (l’action a dévissée de près de 100 milliards de dollars en quelques jours avant de remonter un peu suite à l’audition de Marc Zuckerberg). Mais la crise de confiance avec ses utilisateurs et les pouvoirs publics est plus profonde. L'onde de choc pourrait toutefois ainsi aller jusqu'à ébranler son business model à plus long terme.
Béatrice Héraud @beatriceheraud