Publié le 10 mai 2021
ENTREPRISES RESPONSABLES
Emmanuel Faber, ex-Président de Danone, assure avoir été évincé par ceux qui misent sur les "recettes d’un passé ancien"
Deux mois après avoir été évincé de la présidence du groupe Danone, Emmanuel Faber livre sa version des faits dans le journal économique les Échos. Il dénonce la bataille menée par des membres du conseil préférant les méthodes d’avant la révolution brutale qu’a été la crise du Covid-19. Il évoque aussi le rôle de l’entreprise dans la société et celui des actionnaires.

@EricPiermont/AFP
Au mois de mars dernier, le PDG de Danone Emmanuel Faber était remercié, sous la pression d’actionnaires qui déploraient des résultats en deçà de ceux de ses principaux concurrents. Il remettait en cause la stratégie du dirigeant pour cette entreprise, la première du CAC40 à devenir société à mission. Deux mois après son départ du géant de l’agroalimentaire, Emmanuel Faber sort de son silence et donne sa version de l’histoire dans une interview aux Echos.
Les raisons de son éviction :
"La crise (du Covid-19, ndr) a créé des tensions et des divergences de vues (…) Deux visions se sont opposées : l'une en faveur de la poursuite et même de l'accélération de la transformation de Danone, de la mise en œuvre du plan Local first, et l'autre privilégiant une forme de retour en arrière reposant sur les recettes d'un passé ancien"
Le rôle de l’entreprise à mission :
Il n’est "pas incompatible qu'une entreprise produise du sens et que l'on n'y travaille pas uniquement pour gagner de l'argent mais parce que l'on s'y accomplit. Je ne crois pas que l'entreprise soit enclavée dans un système économique où on ne serait là que pour profiter les uns des autres et maximiser les profits. Une entreprise est un projet de transformation du réel".
"Je crois profondément aux vertus de l'économie de marché. C'est le meilleur mécanisme pour que les entreprises produisent des innovations durables. Mais le logiciel de l'économie de marché doit être amélioré dans le sens d'une plus grande efficacité de l'utilisation des ressources et d'une meilleure inclusion sociale".
La compétitivité des entreprises responsables :
"Le sujet de la prise en compte de l'impact environnemental de l'activité des entreprises est porté au niveau du G7 par exemple, et aux Etats-Unis comme en Europe, cette année sera cruciale pour l'adoption de normes comptables prenant en compte les métriques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG)".
"Nos sociétés civiles, enfin, sont très sensibles aux questions d'épuisement des ressources et d'inégalités (…) Il est possible que j'aie dérangé avec des positions éloignées du consensus. Mais je ne fais pas de compromissions avec mes convictions et je me les applique à titre personnel".
Le poids des actionnaires :
"Il existe un trou noir, ce sont les investisseurs passifs qui répliquent les indices boursiers, ce que l'on appelle l'index investing et qui représentent 20 % ou 30 % du capital des grandes entreprises, parfois même davantage. Ces investisseurs, qui gèrent des masses considérables, sont par nature aveugles par rapport à la trajectoire des entreprises dans lesquelles ils investissent (…) Ils prêtent volontiers leurs titres à des actionnaires activistes qui vont s'en servir pour peser sur la stratégie de l'entreprise, dans le but de maximiser leurs plus-values à court terme".
"En revanche, il y a des activistes de long terme, qui s'intéressent vraiment à la prospérité de l'entreprise et avec lesquels le dialogue peut être fructueux (…). De plus en plus d'actionnaires se préoccupent (de l’environnement) et nous avons été pionniers chez Danone en la matière. C'est un sujet crucial : les entreprises doivent intégrer les externalités dans leurs comptes financiers".
Ludovic Dupin, @LudovicDupin