Publié le 21 février 2017
ENTREPRISES RESPONSABLES
Devoir de vigilance : la loi définitivement adoptée
Les députés ont définitivement adopté cet après-midi la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Un texte qui a suscité une vive opposition au sein du patronat et de la droite. Qu’est-ce que cette loi change pour les entreprises concernées ? Novethic fait le point.

Mohammad Ponir Hossain / NurPhoto / AFP
La loi sur le devoir de vigilance a été adoptée in extremis, lors de la dernière semaine de travaux parlementaires de la mandature, avec 94 voix (dont 3 Républicains) contre 4 (sur 103 votants). Après une ultime lecture, les députés ont voté ce texte, qui "honore le pays" et en fera un modèle "en matière de responsabilité des entreprises", selon le ministre de l'économie, Michel Sapin. "Un premier pas vers le respect des droits humains par les multinationales", selon les ONG et syndicats regroupées dans le Forum citoyen pour la RSE et à l'origine de la loi avec les députés de la majorité.
Quelles sont les entreprises concernées ?
Cette nouvelle loi "permet de franchir un pas vers une nouvelle génération de droits, garants du principe de loyauté", selon Dominique Potier, le député socialiste initiateur du texte et rapporteur de la loi.
L’objectif : mettre en place une obligation d'identification des risques et de prévention des "atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement" pour les sociétés mères ou donneuses d’ordre, tout au long de leur chaîne d’approvisionnement.
150 à 200 entreprises sont concernées selon Bercy. Il s'agit de sociétés ayant plus de 5 000 salariés et dont le siège est situé en France, ou bien 10 000 salariés et un siège à l'étranger.
Concrètement, elles seront obligées de définir, de mettre en œuvre et de publier un "plan de vigilance" à compter du 1er janvier 2018.
En cas de non-respect de cette procédure dans les temps, et après mise en demeure, une entreprise risquera jusqu'à 10 millions d'euros d'amende. Et en cas de dommages graves, jusqu’à 30 millions d’euros.
"Sur le fond, la démarche de prévention est intéressante et même importante, mais il faut rappeler que le risque zéro n'existe pas et que les moyens doivent être proportionnés, souligne Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable du groupe Kering. Nous serons également vigilants quant aux modalités d'application, car il est important de respecter les principes fondamentaux de responsabilité d'une entreprise par rapport à ses actionnaires et d'être pragmatique, notamment envers les PME qui seraient impactées par cette loi."
Un marathon législatif, semé d'embûches
Pour Dominique Potier, c’est "la fin d’un véritable marathon législatif de près de 4 ans, aux côtés de la société civile". Les premières réflexions sur le sujet datent de 2012, avant même le drame du Rana Plaza, qui a marqué un tournant dans la prise de conscience de la responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants. Elles sont le fruit d'un travail collectif entre députés, ONG, syndicats et universitaires.
Il aura fallu encore un an pour qu’une première version de la proposition de loi voie le jour, en novembre 2013. Avant de laisser place, en février 2015, à une deuxième mouture, soutenue – au départ timidement – par le gouvernement. Ce texte a donné lieu à de multiples allers-retours entre l’Assemblée nationale (tenue par la gauche), majoritairement en faveur du texte, et le Sénat (tenu par la droite), très opposé à la loi, pour finalement aboutir à la version définitive, celle des députés.
Opposition patronale
Malgré ce vote, l’opposition patronale, menée par l'Afep et le Medef, ne faiblit pas. La semaine dernière, le Medef a envoyé une lettre au Premier ministre pour lui rappeler sa position sur le texte qu'il considère comme "une obligation de vigilance au champ extrêmement large et particulièrement flou, qu'elle sanctionne pourtant lourdement". Un discours qui a trouvé une caisse de résonance chez les Républicains, et notamment chez les sénateurs. A l'occasion de son dernier passage devant la haute assemblée, le rapporteur de la loi au Sénat, le Républicain Christophe-André Frassa dénonçait ainsi "les risques contentieux excessifs [que la loi] ferait courir aux entreprises françaises et les risques économiques qu'elle représente pour la compétitivité des entreprises françaises de toute taille et pour l'attractivité de la France".
Les Républicains ont d’ailleurs déjà annoncé leur intention de faire un recours devant le Conseil constitutionnel, qui aura un mois pour se prononcer. Pour autant, Dominique Potier se veut confiant sur la solidité juridique du texte et la difficulté, en cas d'alternance, à la détricoter, voire à l'abroger : "Dans sa version définitive, la loi n'a plus besoin de décret d'application pour être mise en œuvre. Il faudra donc repasser par le Parlement pour revenir dessus. Je souhaite bon courage à ceux qui voudront le faire et braver l'opinion publique, majoritairement favorable à cette loi."
Par ailleurs, alors que les opposants à la loi insistaient sur le fait que la France était isolée sur un texte qui n'avait de sens qu'au niveau européen, d'autres parlementaires européens se montrent intéressés pour pousser une loi inspirée de ce devoir de vigilance à la française dans leur pays (Espagne, Belgique, Allemagne). Mais aussi au niveau de l'Union européenne (via une initiative de 9 parlements , dont ceux de l'Italie, des Pays Baltes, du Portugal ou du Luxembourg).