Publié le 19 novembre 2015

ENTREPRISES RESPONSABLES

Devoir de vigilance des multinationales : la loi rejetée par le Sénat

Sans surprise, la proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales, examinée en 1ère lecture au Sénat le mercredi 18 novembre, a été rejetée par la majorité de droite. Le texte prévoyait d’imposer aux grandes entreprises françaises la mise en place d’un plan de vigilance en matière d’environnement, de droits humains et de corruption dans l'ensemble de leur chaîne d'approvisionnement, y compris au sein de leurs filiales et chez leurs sous-traitants en France et dans le monde. Il doit désormais repasser devant l’Assemblée.

Le Sénat a rejeté le 18 novembre la loi sur le devoir de vigilance. GODONG BSIP AFP
Le Sénat a rejeté le 18 novembre la loi sur le devoir de vigilance.
Godong Bsip / AFP

Une suppression pure et simple des trois articles qui composaient la loi. Voilà ce qu’ont voté hier dans la soirée, à la majorité (189 voix pour, 145 contre), les sénateurs Les Républicains-UDI lors de l’examen, en 1ère lecture, de la proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères vis-à-vis de leurs filiales et sous-traitants. En moins de deux heures et trois amendements, le texte a été vidé de toute sa substance, mettant fin aux discussions. Il n’y aura donc pas eu de débat.  

 

"Le fruit d’un dogmatisme"  

 

Les trois amendements en question ont été proposés par le rapporteur du texte au Sénat, Christophe-André Frassa (LR) qui souhaite envoyer un message à l’Assemblée nationale et aux promoteurs de la proposition de loi. "Nous leur renvoyons un texte vide car il n’y avait absolument rien à garder. Le parlement n’a pas à légiférer sur l’émotionnel, sur l’imprécation. Il faut un texte qui tienne la route juridiquement et qui ne soit pas le fruit d’un dogmatisme. Car ce n’est pas avec de grands discours humanistes que nous faisons avancer le droit".  

Le sénateur des Français de l’étranger fait valoir l’incertitude qui aurait pesée sur les entreprises françaises avec ce texte, et la mise en concurrence "déloyale" à laquelle elles auraient dû faire face alors que des entreprises étrangères venant s’installer sur le territoire français n’auraient pas eu à répondre aux mêmes contraintes.  

La proposition de loi sur le devoir de vigilance prévoyait de créer l’obligation pour les sociétés françaises employant 5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde de mettre en œuvre un plan de vigilance, rendu public, pour prévenir les atteintes aux "droits de l'homme, aux libertés fondamentales, aux risques de dommages corporels ou environnementaux graves, aux risques sanitaires ainsi qu'à la corruption passive et active" dans l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, y compris à l’étranger.  

Dans le cas où l’entreprise ne respecterait pas ces obligations, sa responsabilité pourrait être engagée devant un tribunal si les victimes d’un dommage apportent la preuve qu’elle a manqué de vigilance, avec des amendes civiles pouvant aller jusqu’à 10 millions d’euros.  

 

"Veolia et Bolloré soutiennent le texte"  

 

Pour Didier Marie, sénateur PS de la Seine-Maritime, qui a pris la parole dans l’hémicycle, au contraire, "beaucoup de grandes entreprises, comme Veolia ou Bolloré, soutiennent la démarche engagée par ce texte. Simplement, parce qu'elles ont compris que la compétitivité passe par le respect des droits de l'Homme, à quoi l'opinion est sensible, comme à la responsabilité sociale de l'entreprise. C'est aussi une manière pour elles de rétablir un équilibre concurrentiel entre celles, qui sont vertueuses, et celles qui pratiquent un dumping social, environnemental et en termes de droits humains". 

A la veille du débat qui devait se tenir au Sénat, le Forum pour l’Investissement socialement responsable (FIR), qui regroupe des gestionnaires de fonds, des investisseurs, des spécialistes de l’analyse ESG, des consultants, des syndicalistes et des experts, s’était prononcé en faveur de la proposition de loi. Tout un symbole.  

"Cette loi s'inscrit dans le contexte réglementaire international qui se met en place, dans le prolongement des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'Homme des Nations-Unies. [..] Elle permet de renforcer une pratique exigeante de la responsabilité sociétale (RSE) qui constitue pour les entreprises la clé d’accès aux fonds pratiquant un investissement responsable".  

 

Une course contre la montre  

 

"Les lignes bougent, on voit bien que le secteur privé n’est pas monolithique", réagit Carole Peychaud, chargée de Plaidoyer Responsabilité Sociale et Environnementale des Entreprises au sein du CCFD-Terre Solidaire. "Manuel Valls, le Premier ministre, l’a lui-même démontré en rappelant lors de la conférence sociale que la RSE constitue un levier pour les entreprises. Cela vient contrer l’argument fallacieux sans cesse repris par la droite sur la compétitivité. Le manque total de volonté politique des sénateurs et leur refus du débat sont lamentables".  

La proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales avait été adoptée à l’Assemblée nationale le 30 mars dernier, dans une version profondément remaniée. Après avoir failli être enterrée définitivement, elle est arrivée au Sénat le 21 octobre dernier, pour un début d’examen écourté et achevé le 18 novembre.  

Désormais, c’est une course contre la montre qui s’engage pour parvenir au vote définitif de la loi. L’Assemblée nationale, puis le Sénat, vont examiner le texte en seconde lecture. Si aucun accord n’est trouvé entre les deux assemblées, ce sera à la commission mixte paritaire de trancher.

Concepcion Alvarez
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