Publié le 30 janvier 2023

ENTREPRISES RESPONSABLES

Crise de la fonction RSE dans les entreprises sommées de radicaliser leur transformation

La RSE doit-elle être radicale ? Cette question brûlante a été posée aux invités de l’Orse, l’Observatoire de la Responsabilité Sociale des Entreprises, lors d’un débat organisé pour ses vœux. Elle porte deux dimensions : la première est de s’interroger sur la capacité des directeurs RSE à affronter une plus grande radicalité des mouvements climatiques et environnementaux qui ciblent les entreprises. La seconde concerne la capacité des politiques RSE à devenir les piliers de la stratégie d’une transformation plus radicale des entreprises pour respecter leurs engagements.

ESG RSE istock
L’ORSE a publié un livre blanc sur la "RSE doit-elle être radicale?"
@iStock

"L’alerte écologique s’exprime de plus en plus par des actes violents. Violence physique ou symbolique, elle témoigne d’un sentiment de plus en plus répandu dans la jeune génération d’une surdité des décideurs publics et privés. Les responsables de la RSE, qui portent les stratégies de transformation des organisations, se retrouvent au cœur de ce mouvement entre inquiétude légitime et complexité des changements et des réformes à opérer", a résumé Hélène Valade, la présidente de l’Orse (Observatoire de la Responsabilité Sociale des Entreprises), en introduction d’une soirée-débat intitulée "La Rse doit-elle être radicale ?", lundi 16 janvier.

Les responsables RSE sont passés assez brutalement du rôle de chef d’orchestre d’un reporting complexe et souvent fastidieux sur les données ESG (Environnement, Social, Gouvernance), que l’entreprise doit produire pour ses parties prenantes, à celui de porte-parole de l’entreprise auprès d’ONG qui demandent toujours plus et mieux et utilisent le devoir de vigilance comme une arme juridique pour obtenir gain de cause. Cela a été le cas récemment pour Danone sur la pollution plastique ou BNP Paribas sur le financement des énergies fossiles

Il faut aussi défendre, dans les médias et sur les réseaux sociaux, la réputation d’entreprises attaquées sur le cœur de leur business model, à l’instar de la dernière émission Cash Investigation, qui a provoqué des bad buzz pour Total sur son projet EACOP, pour BNP Paribas sur le verdissement de son offre et pour Nespresso sur ses fameuses capsules. Dans ce cas, les responsables de la politique RSE doivent monter au créneau pour défendre la crédibilité des politiques durables qu’ils ont lancé dans leurs entreprises depuis plusieurs années.

"Rester un partenaire de jeu avec les autres métiers"

La marge de manœuvre des responsables RSE est très réduite face à ce nouveau défi qui consiste à crédibiliser leurs actions en externe comme interne : "Aller à la racine du problème (en référence à l’étymologie de "radical", ndr), c'est notre rôle", témoigne Céline Soubranne, directrice du développement ESG au sein d’Axa IM. "Mais adopter une posture radicale, d'opposition systématique et de refus de la nuance, ça n'est pas possible. Nous devons rester un partenaire de jeu des autres métiers et fonctions de l’entreprise. Il faut être ensemble pour trouver les solutions".

Car la nouveauté est d’être pris entre deux feux. Cela peut être le cas des fonctions conformité ou financière dans les grandes entreprises. Les premières redoutent le choc des engagements face aux règlementations, la seconde est souvent loin de vouloir anticiper un changement de business model dans une phase de crise.

"Face à la multiplication des mises en cause publiques, les entreprises peuvent avoir tendance à ne plus rien faire ou alors à ne plus communiquer sur ce qu’elles font, ce qui va priver le marché d’effets d’entraînement que peuvent avoir certaines décisions", explique encore Céline Soubranne. "Il faut prendre le temps de chercher, de comparer", complète Hélène Valade, regrettant que cette radicalité de l’activisme climatique "remette le projecteur de la méfiance sur les entreprises alors que nous étions sur une bonne trajectoire". 

L’exemple de l’exclusion des énergies fossiles l’illustre parfaitement. Quand AXA a décidé dès 2015 d’exclure le charbon, c’était en fait une révolution pour l’entreprise. Et quand elle a racheté l’américain XL, il a fallu expliquer aux équipes formées à l’idéologie du "client est roi" qu’il fallait renoncer ou refuser certains d'entre eux au nom de la politique climatique. Ces décisions vécues comme radicales en interne ne le sont pas pour les ONG environnementales qui demandent à AXA d’éradiquer tout financement des énergies fossiles. Les responsables RSE, réunis par l'Orse, voient se nouer les conditions d’un blocage des politiques durables par les résistances internes.   

"La transition, c'est la plus grande fake news qui existe !"

Pourtant il va falloir le surmonter car la nécessité de s’adapter rapidement à un monde en pleine transformation s’impose. Pour les entreprises, il ne s’agit plus seulement de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à moyen et long terme mais d’adapter leur modèle économique à des changements très rapides. Sylvain Lambert, associé Développement durable chez PwC et Vice-président de l'ORSE reconnaît ainsi avoir "musclé son discours" vis-à-vis de ses clients, afin de "mieux mettre en lumière les conséquences économiques de réalités scientifiques incontestables ; plus seulement les opportunités de la transition, mais aussi les menaces sur des activités condamnées à terme". "Il n’y aura pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd" clame-t-il.

Il a aussi souligné que les consultants confrontés en permanence à des injonctions paradoxales souffraient d’éco-anxiété et qu’ils avaient créé une cellule d’écoute psychologique. Car peu d’entre eux ont la liberté de ton de Fabrice Bonnifet, directeur Développement Durable du Groupe Bouygues et président du Collège des Directeurs du développement durable (C3D). Lui n’hésite plus à être radical : "La transition, c'est la plus grande fake news qui existe ! Il n’y a pas de transition. On n’est pas en train de remplacer ce qui est sale par ce qui est propre : on ne fait qu'empiler !" dénonce-t-il.

Loïc Bonifacio du collectif Pour un réveil écologique, invité lui aussi par l’ORSE, lui fait écho : "La radicalité c’est d’aller à la racine pour traiter le cœur du problème. Pouvons-nous vraiment se permettre d’avoir une RSE qui ne traite pas le problème à son cœur ? Rester en surface, c'est risquer de faire du greenwashing ". Pour enfoncer le clou et poursuivre la réflexion, l’Orse a publié un livre blanc à cette occasion qui propose  en conclusion dix mesures de rupture dont un module de formation aux limites planétaires (notamment carbone), obligatoire dans les grandes entreprises et les institutions financières, mais aussi une adaptation des tarifs publicitaires aux caractéristiques environnemental du produit proposé. La longue marche des responsables RSE ne fait que commencer. 

Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic et Concepcion Alvarez @conce1


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