Publié le 26 octobre 2016
ENTREPRISES RESPONSABLES
Crise à i-Télé : quel impact sur la RSE du groupe Vivendi ?
Les journalistes de la chaîne d’info en continu sont en grève depuis plus d’une semaine pour protester contre la mise à l’antenne de Jean-Marc Morandini, animateur mis en examen pour corruption aggravée sur mineurs. Ils ont entamé un bras de fer avec Vincent Bolloré, le président du conseil de surveillance de Vivendi, la maison mère d’i-Télé, qui les incite à partir. Une situation ubuesque en contradiction manifeste avec les engagements RSE du groupe. Analyse.

Simon Guillemin / Hans Lucas / AFP
Destruction de valeur immatérielle, risque de réputation, problèmes de gouvernance, la chaîne d’info continue i-Télé collectionne les risques dits extra-financiers. Vont-ils pénaliser sa maison mère, le groupe Vivendi, jusque-là en bonne position dans le classement mondial des compagnies les plus responsables ?
Pour analyser la crise d’i-Télé à l’aune de la RSE, il faut avoir en tête que les enjeux des médias sont d’abord sociaux et sociétaux. Ils concernent avant tout leurs contenus et leur diffusion et mettent au premier plan la déontologie et l’éthique des journalistes ainsi que la protection de la jeunesse.
Le rapport intégré de Vivendi, fidèle à cette grille de lecture, explique par exemple que "le groupe nourrit la curiosité et la diversité des goûts de ses clients, cultive leur confiance numérique dans un esprit de loyauté et de transparence" et souligne les risques que font peser "des controverses de plus en plus médiatisées incitant les investisseurs à exclure de leurs portefeuilles les multinationales pour manquement au respect de leurs engagements" et qui peuvent conduire à "d’éventuels boycotts de la part de consommateurs ou de clients insatisfaits".
Un animateur repoussoir
C’est bien l'une de ces controverses qu’amène pourtant au groupe Vivendi le conflit à i-Télé. La grève massive et visible des journalistes paralyse la chaîne info, désormais associée à Jean-Marc Morandini. Un animateur repoussoir que fuient les annonceurs de ce média. Même si son émission est momentanément suspendue, le soutien médiatique dont bénéficient les grévistes, qui se traduit, entre autres, par les pics d’audience du hashtag #jesoutiensITélé sur les réseaux sociaux, donne une idée de l’atteinte au capital de la marque i-Télé en tant que chaîne d’information continue.
La stratégie de Vincent Bolloré rend sceptique les observateurs et inquiète les spécialistes de la gouvernance comme Loic Dessaint. Pour le directeur général de Proxinvest, spécialiste du conseil en exercice du droit de vote "Vincent Bolloré est au départ un actionnaire minoritaire (il détient 20% de Vivendi, NDLR) qui a utilisé diverses stratégies pour monter en puissance au sein du groupe, en particulier les droits de vote double offerts par la loi dite Florange. Ensuite il a fini par s’immiscer dans des décisions de gestion, ce qu’il ne devrait pas faire selon des principes de bonne gouvernance". Et il ajoute : "Le conseil d’administration de Vivendi est celui du CAC 40 qui a le moins d’ancienneté, puisque ses membres ont été remplacés progressivement. Le fils de Vincent Bolloré, par exemple, qui est en charge de l’audit au sein du conseil d’administration, n’a pas été élu par l’Assemblée générale. Il a été coopté après la démission de l’administrateur désigné par l’AG il y a quelques mois".
Pas de manifestation visible des investisseurs responsables
En termes de gouvernance, la stratégie de Vincent Bolloré pour les filiales de Vivendi laisse Loic Dessaint perplexe. "Tout est complètement légal, mais il y a de quoi conduire des investisseurs responsables de long terme à faire de l’engagement actionnarial, au moins sur la gouvernance. De plus ses décisions ont un impact négatif sur les actifs de l’entreprise. i-Télé est privée de journalistes, le groupe Canal Plus, fleuron du groupe, a perdu officiellement 183 000 abonnés. Les autres actionnaires peuvent légitimement se demander quel est l’agenda de Vincent Bolloré et s’il ne va pas à l’encontre des intérêts de l’entreprise."
Pour l’instant pas de manifestation visible des investisseurs responsables. L’agence de notation extra financière Vigeo, qui jusque-là notait bien Vivendi, n’a pas publié d’alerte mais "suit de très près l’évolution de cette affaire". En France l’engagement actionnarial dans ce genre d’affaires s’exprime rarement lors des assemblées générales et Loic Dessaint souligne que "Vincent Bolloré a exercé une pression cette année sur les actionnaires qu' [il n’avait] pas vue depuis l’affaire de la résolution de Total sur les sables bitumineux en 2011".
Il faudrait sans doute que l’affaire i-Télé prenne une dimension internationale pour qu’elle devienne le sujet d’une bataille d’actionnaires autour de la valeur immatérielle du groupe Vivendi. Cette crise ajoutera un nouvel élément à la veille stratégique menée par des organisations comme RepRisk, qui jusque-là suivait plutôt les activités africaines du groupe Bolloré. Ce spécialiste de l’intelligence économique souligne que "la façon dont les sujets ESG sont pilotés par une compagnie ont une relation directe avec la qualité de ses résultats et sa capacité à agir. Les risques ESG se traduisent en risque juridique, de réputation et deviennent, in fine, financiers".