Publié le 19 avril 2016
ENTREPRISES RESPONSABLES
BP : fronde des actionnaires contre la rémunération de Bob Dudley (DG)
Un directeur général peut-il s’octroyer une augmentation conséquente, alors que son groupe accuse des pertes abyssales et licencie par milliers ? Les actionnaires du pétrolier britannique BP ont répondu non à près de 60%. Une contestation exceptionnelle. Et si ce vote consultatif n’a qu’une valeur symbolique, il envoie néanmoins un message clair à la direction, qui promet de revoir sa politique de rémunération d’ici l’année prochaine. Ainsi, la question de la rémunération des dirigeants dans des entreprises en crise va se poser de plus en plus. Y compris en France. Explications.

Erice Piermont / AFP
Les actionnaires de BP, réunis en assemblée générale jeudi 14 avril, ont voté à 59,11% contre la hausse de la rémunération du directeur général de l’entreprise, Bob Dudley. Sa rémunération totale passe de 16,4 à 19,6 millions de dollars. Un bond de 20%, alors que le secteur pétrolier est en pleine crise.
Ce vote négatif, bien que consultatif, est inédit par son ampleur. Il a rassemblé de puissants actionnaires tels qu’Aberdeen Asset Management ou Royal London Asset Management. En cause : la perte nette abyssale de 6,5 milliards de dollars qu’a subie le pétrolier en 2015. Il s’agit du plus mauvais résultat de son histoire. Il a poussé le groupe à procéder à des licenciements massifs. 4 000 suppressions de poste sont prévues cette année dans les activités exploration et production. Et encore 3 000 dans le raffinage et la distribution d’ici 2017.
"Dans ce cas précis, ce qui choque le plus les actionnaires, ce ne sont pas les montants, mais l’explosion de la rémunération au vu de la mauvaise performance de l’entreprise, analyse Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest. Les actionnaires ne sont pas dupes. Même si leurs dividendes ont augmenté, ils ont perdu dix milliards de dollars de capitalisation boursière et sont face à une société dont les risques ont été mal maîtrisés (cf. Deepwater Horizon, NDLR) et coûtent une fortune."
Selon le spécialiste de l'analyse des résolutions soumises aux assemblées générales (AG), nous ne sommes pas face à une fronde générale sur la question de la rémunération des dirigeants. En revanche, son lien avec les résultats de l’entreprise va de plus en plus être questionné par les actionnaires, y compris en France.
Licenciements et augmentation font mauvais ménage
"La question qui va se poser, c’est comment payer les dirigeants quand il y a des plans de licenciement, interroge Loïc Dessaint. Les réponses sont variées. Chez Vallourec par exemple, les dividendes ont été suspendus et Philippe Crouzet, président du directoire, a renoncé en intégralité à sa part variable. Le PDG de Technip a quant à lui abandonné une petite part de son variable. Chez Peugeot en revanche, aucun geste n’a été fait au vu des très bons résultats et malgré la baisse des effectifs, particulièrement en France."
Dans l’Hexagone, le say on pay est intégré depuis 2013 au code Afep-Medef, le code de référence en matière de gouvernance d’entreprise des sociétés cotées. Ce code oblige ces dernières à présenter à l’assemblée générale annuelle les différents éléments des rémunérations versées ou dues aux dirigeants mandataires sociaux. L’avis des actionnaires est consultatif. Mais une directive européenne en cours de discussion pourrait imposer aux États membres un système à l’anglaise.
Tous les trois ans, un vote interviendrait sur la politique de rémunération de l’entreprise, en plus du vote consultatif exigé à l’issue de chaque exercice écoulé. "Cela permettrait aux entreprises d’aller vers plus de transparence, notamment sur les critères et les objectifs fixés, et de mesurer si la rémunération est vraiment en lien avec la performance de l’entreprise", commente Loïc Dessaint. Le débat porte désormais sur le caractère contraignant ou non de ce vote.
Un dialogue renforcé entre actionnaires et direction
Au Royaume-Uni, où le say on pay existe depuis une dizaine d’années, le vote sur la politique de rémunération des entreprises est contraignant. De quoi permettre aux actionnaires de se faire entendre.
Le vote négatif des actionnaires de BP au sujet de la rémunération du DG du groupe a ainsi poussé la direction à se remettre en question. Le président du pétrolier britannique, Carl-Henric Svanberg, a promis une réforme du mode de rémunération des dirigeants de BP, qui sera soumise au prochain vote contraignant prévu en 2017. "Permettez-moi d'être clair. Nous vous entendons. Nous nous assiérons avec nos principaux actionnaires pour bien comprendre leurs inquiétudes et reviendrons devant vous pour demander votre soutien à une politique renouvelée" en la matière, a-t-il déclaré aux actionnaires.
"Le say on pay a pour effet de renforcer le dialogue entre les sociétés de gestion et la direction. En France, cela a permis de progresser même s’il reste des combats à mener", conclut Loïc Dessaint de Proxinvest. En ligne de mire de l’agence : Carlos Ghosn, le président de Renault-Nissan, qui reste totalement insensible à la contestation de plus en forte de ses actionnaires au sujet de sa rémunération.