Publié le 27 juillet 2018
ENTREPRISES RESPONSABLES
[Décryptage] Boycott de Danone au Maroc : cinq enseignements à tirer de la crise
Depuis le 20 avril, trois entreprises sont la cible d’un boycott d’une ampleur inédite au Maroc : l’eau minérale Sidi Ali, les stations d’essence Afriquia et les produits laitiers Danone. Selon les partisans du mouvement, ces trois entreprises fournissent des produits de base trop chers, opèrent en situation de quasi-monopole et seraient trop liées au gouvernement.

@FadelSenna/AFP
Depuis maintenant presque quatre mois, un boycott de plusieurs entreprises est organisé au Maroc. Trois sont principalement visées : Sidi Ali qui produit de l’eau minérale, les stations d’essence Afriquia et Danone à travers sa marque de lait Centrale. À l’origine, on trouve une mobilisation citoyenne massive lancée le 20 avril par une campagne virale sur les réseaux sociaux.
Elle dénonçait la cherté de ces produits de base. Loin de s’essouffler, cet appel a pris un tour politique en dénonçant des collusions entre les grandes entreprises et le gouvernement. La dureté et la longueur de cette mobilisation est un cas d'école qui permet de tirer des enseignements pour les sociétés quand elles font face à de vastes mouvements de rejets.
1 - Assumer son rôle politique et sociétal
En tant qu’acteurs économiques influents sur leur territoire, les entreprises endossent de plus en plus un rôle politique en contribuant à la vie de la société. "Danone est mise en danger au Maroc non parce qu’elle y a commis une faute ou qu’elle y a vendu du lait avarié, mais parce qu’un mouvement de protestation global pour le pouvoir d’achat l’a prise pour cible, pour des raisons qui dépassent largement l’entreprise et ses produits", analyse la consultante Clara Paul-Zemmour dans une tribune parue dans le journal Le Monde (1).
Un exemple local qui illustre une tendance globale, comme l'explique l’expert en Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) Patrick d’Humières (2). "L'entreprise est devenue un acteur géopolitique à part entière. Compte-tenu de leur poids – [les multinationales] sont parfois plus puissantes que les États - et des défis de régulation de la mondialisation, les affaires du monde sont devenues les affaires de l'entreprise".
2 - Considérer les consommateurs comme une partie prenante
La rapidité et l’étendue de cette "mobilisation à caractère socio-économique", comme la qualifie le politologue marocain Mohammed Madani, prouve une fois encore, que les consommateurs/citoyens sont devenues des parties prenantes des entreprises. Et ceux-ci sont de plus en plus exigeants concernant la RSE et les produits qu'ils consomment. Désormais, ces nouveaux acteurs n’hésitent plus à prendre des mesures de rétorsion en cas de mécontentement.
3 - Incarner sur le terrain la communication RSE
Il a fallu attendre le 26 juin pour que le PDG de Danone, Emmanuel Faber, se rende au Maroc pour "écouter et comprendre sur le terrain les raisons de ce boycott". Entre temps, la discrétion du groupe sur le sujet a accru le mécontentement de la population. Une incompréhension d’autant plus forte que le groupe axe fortement sa communication sur sa responsabilité sociétale, mettant en avant son partage de la valeur, ses partenariats avec les éleveurs et sa volonté de concilier exigences de rentabilité et de contribution positive à la société.
4 - Anticiper l'impact de ses décisions sur le tissu économique local
En quelques semaines de boycott, le chiffre d’affaires de la filiale marocaine de Danone a plongé de 50 % avec une perte nette de 13,5 millions d’euros pour le premier semestre. Le coup est dur pour l’entreprise, et il a également des répercussions pour l’ensemble de son écosystème via sa chaine d'approvisionnement. Centrale Danone emploie 6 000 collaborateurs au Maroc. Face à l’ampleur du boycott, Centrale a réduit sa collecte de lait de 30 % auprès de 120 000 éleveurs locaux et n’a pas reconduit le contrat de plus de 880 travailleurs intérimaires. En conséquence, ceux-ci ont manifesté devant le Parlement national contre un boycott "menaçant leur emploi".
5 - Réinventer un modèle économique à impact positif
Le boycott marocain fait écho aux réflexions qui ont cours à travers le monde sur la remise en question les modèles économiques des grandes entreprises. Tout en soulignant que le prix de son lait pasteurisé Centrale n’avait pas augmenté depuis 5 ans, Danone a décidé de proposer la "co-construction d’un nouveau modèle pour répondre aux attentes de la société marocaine", inspirée du modèle "C’est qui le patron ?".
Celui-ci serait basé sur trois engagements : vendre le lait frais pasteurisé à prix coûtant ; s’engager à une transparence totale sur la répartition du prix ; et "faire confiance aux épiciers et consommateurs pour qu’ils décident ensemble de ce que doit être son ‘juste prix’". Un travail en cours, assure Danone.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) La tribune de Clara Paul-Zemmour dans Le Monde
(2) Voir notre interview de Patrick d’Humières sur le rôle politique de l'entreprise