Publié le 13 mars 2023

ÉNERGIE

ONG, élus, experts... Les écolos soutiennent-ils vraiment les éoliennes ?

Peut-on être écolo et anti-éolien ? Si la question paraît à première vue absurde, elle ne l'est en réalité pas tant que ça. Depuis quelques années, cette tendance émerge avec des élus, des personnalités et même des ONG qui dénigrent publiquement les énergies renouvelables ou a minima qui ne prennent pas position pour les défendre. Les différents scénarios sont pourtant clairs : atteindre la neutralité carbone ne pourra se faire sans les énergies renouvelables.

Eoliennes renouvelables retard france pixabay
Dans le cadre de la loi d'accélération des énergies renouvelables, les députés écolos ont ajouté un amendement sur la contrainte visuelle.
@CC0

Un mois et demi après avoir été arrêtée en Allemagne lors d’une manifestation anti-charbon, Greta Thunberg, la militante écologiste suédoise, a été interpellée en Norvège début mars. Cette fois, son combat portait sur la démolition d’éoliennes empiétant sur des pâturages de rennes du peuple autochtone Samis. Ces éoliennes sont toujours en activité dans l’ouest du pays, malgré une décision de justice défavorable datant de 2021.

Si c'est le respect des droits des peuples autochtones qui est ici contesté et non l'énergie éolienne, le positionnement de la militante, qui a tancé les dirigeants du monde entier pour accélérer la lutte contre le changement climatique, a tout de suite été récupéré par les anti-éoliens, parmi lesquels Fabien Bouglé, auteur d’un livre à charge sur les éoliennes. "De plus en plus d'écologistes rejoignent le camp des résistants qui luttent contre la pollution éolienne", écrit sur Twitter l'expert en politiques énergétiques.

"Se dire écolo et être opposé aux éoliennes est une nouvelle tendance"

Il faut dire qu’il n’a pas tout à fait tort. "Se dire écolo et être opposé aux éoliennes, et aux renouvelables plus globalement, est une nouvelle tendance que l’on voit émerger sous l’effet de la désinformation menée notamment par les partisans du nucléaire", constate Cédric Philibert, expert des questions d’énergie et de climat et auteur de "Eoliennes, pourquoi tant de haine ?*", un manuel pour démonter les idées-reçues sur les besoins en terres rares, l'impact des éoliennes sur les oiseaux, les nuisances sonores, l’artificialisation des sols…

Il prend pour exemple la loi d’accélération des énergies renouvelables, pour laquelle les élus écologistes notamment se sont abstenus. "Les députés verts ont combattu l’intérêt public majeur attribué aux énergies renouvelables, sous couvert de protection de la biodiversité. Ils ont aussi ajouté un amendement sur la contrainte visuelle, ce qui va accroître les recours, poursuit-il. Sur le photovoltaïque, ils ont contribué à interdire les plus grands projets au sol, alors que ce sont les moins chers et les plus rapides à lancer. Ils ont une responsabilité énorme dans le blocage des énergies renouvelables"

Kits complets pour systématiser les recours

Outre les élus, certaines personnalités très médiatisées, à l’instar de Jean-Marc Jancovici, fondateur du Shift Project, sont également pointées du doigt. Dans sa BD best-seller "Le Monde sans fin" – livre le plus vendu en 2022 avec plus de 500 000 exemplaires écoulés – l’ingénieur ostensiblement pro-nucléaire, ne mâche pas ses mots sur les éoliennes, au risque parfois d’approximations. Il explique notamment qu’il faudrait planter une éolienne par kilomètre carré si toute l’énergie utilisée en France devait venir de l’éolien. Un scénario que nul n’envisage et qui s'appuie sur des calculs erronés.

Jean-Louis Butré, le président de la Fédération environnement durable (FED), fait aussi partie de ces personnalités contestées. Il a notamment signé une tribune en avril 2021 intitulée "Il n'y a pas d'urgence climatique". Et sa fédération, au nom plus qu’ambigu, est en fait la principale organisation anti-éoliennes de France. "Elle fournit des kits complets pour monter une association ou financer les actions en justice… Car elle a mis en place un processus de systématisation des recours, en s’appuyant sur un réseau de vingt-sept avocats", révèle une enquête du Monde sur les anti-éoliens.

Opposition entre les deux énergies

Les ONG ne sont pas en reste. Elles ne sont pas nombreuses à se manifester dans les médias pour défendre les énergies renouvelables. Quasiment aucune n'a d'ailleurs accepté de répondre aux sollicitations de Novethic sur le sujet. "Les écologistes, y compris les ONG, ont beaucoup de mal à se positionner dans ce débat social car ils ont peur des réactions de l’opinion publique. Il y a une grosse frilosité si bien que les renouvelables ont du mal à avoir des porte-paroles", corrobore Marie Chéron de l’association Transport & Environnement.

Le WWF France a accepté de nous répondre. Son directeur du plaidoyer, Pierre Cannet, affirme bien soutenir les énergies renouvelables. Mais les énergies renouvelables "durables", précise-t-il, afin qu'elles soient "pleinement intégrées sur les territoires en association avec les citoyens et les collectivités locales". En amont de la COP27, le WWF avait publié une tribune en faveur de l'éolien terrestre avec l'Amorce ou encore Enercoop, mais aucune autre ONG environnementale.

"Elles ne peuvent pas tout couvrir, elles choisissent de prioriser certains sujets comme la sobriété dont il a beaucoup été question ces derniers mois", explique un militant qui préfère rester anonyme. Les experts de l’Agence internationale de l’énergie ou de RTE en France sont en tout cas formels : quel que soit le scénario de décarbonation choisi, avec plus ou moins de nucléaire, nous aurons besoin d’énergies renouvelables. Mais pour l'instant, on préfère opposer les deux énergies, au risque de perdre un temps précieux dans la bataille climatique.

Concepcion Alvarez @conce1

*"Eoliennes, pourquoi tant de haine ?", de Cédric Philibert, aux éditions Les Petits Matins, mars 2023, 192 pages.


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