Publié le 04 décembre 2014
ÉNERGIE
Pascal Canfin : "Changer de société pour vivre mieux."
Le 28 novembre dernier, le gouvernement se mobilisait pour la Conférence environnementale. Mais les ministres écologistes ont disparu du gouvernement et les ambitions environnementales de la présidence Hollande sont surtout tournées vers la question climatique. Pascal Canfin, ancien ministre délégué au Développement sous le gouvernement Ayrault et ancien député européen écologiste est aujourd'hui conseiller spécial pour le changement climatique du World Ressources Institute. Il mène une réflexion qui va au-delà du danger que représente le réchauffement climatique. Il encourage un changement de modèle de société. Un modèle axé sur une réelle transition énergétique, loin de celle menée par le gouvernement. Pour lui, la France porte en elle les bourgeons d’une société écologique.

© Watan Doha/AFP
Dans votre dernier livre ("Imaginons…"), vous avez choisi de vous entretenir avec des citoyens qui n’ont rien à voir avec l’écologie politique. Pour quelles raisons ?
Le but était de nouer un dialogue avec des gens qui ne sont pas hostiles à une transition écologique, mais qui ne voient pas ce qu’elle peut leur apporter. En tant que responsable écologiste, il ne sert pas à grand-chose de prêcher des convertis. Il faut prendre les gens là où ils en sont de leur réflexion, de leur vision du monde, et leur montrer en quoi notre analyse de la situation que nous traversons et les solutions que nous proposons sont bonnes pour eux.
Au cours de ces entretiens, vous mettez en avant, sous une forme ou sous une autre, la transition énergétique et l’opportunité économique qu’elle représente. Cette transition est-elle à vos yeux le dernier grand levier à la disposition de l’exécutif ?
Oui, mais pas seulement d’un point de vue économique. Il faut aussi être capable de reconstruire un projet de société autour du mieux-vivre ensemble. Je suis frappé par un fait: le débat politique, et donc économique, ne s’exprime plus que d’une manière globale, macro, à travers des données chiffrées. On parle de courbe du chômage, de déficit, de croissance, de budget… Les chiffres sont devenus l’unique marqueur de la vie politique. Tout cela est quantitatif, désincarné, déshumanisé. Or, quand on interroge les citoyens sur ce qui est réellement important pour eux, ils vous parlent d’emploi, bien sûr, mais aussi de qualité de vie. Le fait que plus personne ne fasse le pont entre les deux contribue à couper le monde politique du monde réel. Il faut partir de ce qui a de l’importance pour les gens et en tirer des conclusions logiques.
Par exemple ?
Aucun discours politique ne parle du bruit alors que c’est l’une des premières nuisances que citent les Français, le bruit dans les logements mal isolés, par exemple. Idem pour les déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Le fait d’avoir 20 minutes ou 1 heure 30 de trajet entre votre domicile et votre travail change considérablement votre vie. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la santé, sur la vie personnelle et familiale. Cela ne se reflète pas dans les statistiques macroéconomiques, mais constitue les bases d’une politique du bien-être qui est au cœur de l’écologie. Le politique doit reparler de qualité. Qualité de vie, qualité de l’alimentation, qualité de l’air que l’on respire… et pas seulement de quantité.
Cela paraît difficile à réaliser alors que nous vivons dans une société où la défiance est devenue la norme…
Cette défiance, on la retrouve à tous les niveaux de la société. Elle nous pousse à nous poser des questions telles que: puis-je avoir confiance dans l’alimentation que j’achète en supermarché? L’école républicaine est-elle réellement bonne pour mes enfants? Elle infuse toutes les couches de la société. L’écologie est justement une solution, car elle met en avant la notion de traçabilité. En matière alimentaire bien sûr, mais aussi en matière financière, pour savoir ce que les banques font de notre argent, par exemple. C’est à ce type de questions que s’intéresse l’écologie politique. Trouver une solution à ces problèmes, c’est retisser du lien social, récréer une société de confiance et refonder la confiance dans la démocratie, trop souvent confisquée par quelques intérêts privés.
Les solutions que vous proposez font assez "envie". Comment expliquez-vous que les écologistes soient si peu audibles ?
Parce que les partis politiques ne sont pas des lieux de réflexion. C’est le moins que l’on puisse dire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai créé, avec Cécile Duflot (ancienne ministre du Logement et ancienne présidente d’Europe Ecologie-Les Verts, NDLR) et des parlementaires européens non français, un groupe de réflexion qui s’est donné pour objectif de présenter différemment le projet écologiste. Nous ne mettons pas suffisamment en avant la notion de transmission, qui est pourtant au cœur du questionnement de l’écologie. Quelle planète allons-nous transmettre à nos enfants ? Voilà une question fondamentale pour les séniors, par exemple, à qui pourtant nous parlons peu !
Qu’attendez-vous réellement de la génération des baby-boomers ? Son bilan est désastreux: une biodiversité en miettes, pas un seul budget à l’équilibre depuis 1974 et donc un lourd passif économique à gérer pour les générations suivantes, des enfants qui vivront moins bien que leurs parents, une société qui s’est individualisée jusqu’à la caricature…
Je partage votre constat. Mais vous ne pouvez pas rendre responsable quelqu’un d’une action alors qu’il n’avait pas conscience de sa nocivité au moment de la commettre. Culpabiliser ne sert à rien. La question n’est pas d’accuser les gens de ce qu’ils ont fait il y a 30 ou 40 ans. Mais de leur faire prendre conscience de la réalité, en particulier sur le changement climatique, et aider leurs enfants et leurs petits-enfants. Il faut aussi leur montrer qu’il ne s’agit pas de changer pour le pire, pour vivre moins bien. Mais pour vivre mieux.
La société écologique que vous appelez de vos vœux semble encore lointaine…
Je ne partage pas votre avis. Aux dernières élections municipales, plus de 1000 villes ont voté écologistes à plus de 20%. Ma conviction, c’est que la société écologique y est en gestation. C’est bien le signe que les gens se retrouvent de plus en plus dans notre système de valeurs. Mais peu de médias ont relayé cette réalité électorale !
Le projet de loi de transition énergétique porté par Ségolène Royal est-il satisfaisant à vos yeux ?
L’ambition de ce texte, et la stratégie pour la voir se concrétiser, est bonne. Malheureusement, les moyens financiers manquent. Il ne s’agit pas de dépenser plus. Mais de dépenser mieux. C’est une question de choix politique. Au niveau mondial, il y a 6 à 10 fois plus de subventions publiques pour les énergies fossiles que pour les énergies renouvelables. Or les énergies dont le coût baisse le plus vite, c’est celui des énergies vertes. En France, quand je me pose la question de savoir quels sont les grands choix d’investissement portés par le gouvernement, je m’aperçois que la question écologique est secondaire. Chaque outil – aides aux entreprises, subventions, marchés publics, etc. – devrait intégrer une dimension écologique. Si ce n’est pas le cas, vous n’êtes que dans l’affichage. Le gouvernement manque de cohérence sur le sujet.
François Hollande considère-t-il la transition énergétique comme une chance ou comme une contrainte ?
Combien de ministres de l’Ecologie avons-nous vus défiler depuis le début de son quinquennat ? 4. Cela me pousse à penser que l’écologie est à ses yeux une variable d’ajustement. Ce n’est pas un levier sur lequel il faut jouer pour créer de l’emploi et rééquilibrer notre balance commerciale, mais un engagement de campagne. Durant le temps que nous avons passé au gouvernement avec Cécile Duflot, nous avons longuement tenté de convaincre le président de la République qu’il n’existe pas d’opposition entre l’emploi et le climat, entre économie et écologie. Visiblement sans succès. Mais j’espère que cela portera un jour ses fruits. Le fait que la France accueille la grande conférence sur le climat en décembre 2015 peut être un moment fondateur. Refuser de changer de modèle, c’est comme si on avait stoppé le développement d’Internet en France au motif que cela mettait en péril l’activité courrier de la Poste. Faisons attention à ne pas regarder le passé et à laisser passer notre avenir.