Publié le 13 janvier 2014
ÉNERGIE
Les atouts écologiques de la filière bois ne suffisent pas à lui apporter le succès
Alors qu'aucune autre industrie ne dispose d'une telle ressource sur le territoire national, le secteur du bois affiche un déficit commercial de 6 milliards d'euros. Les nombreux plans de développement de la filière n'y ont rien changé. Comment alors permettre à la filière bois de prendre le chemin de la transition écologique ?

© onf
La filière forêt-bois en chiffres |
· 31 % du territoire national est forestier, soit le 3e rang européen · 70 % des surfaces forestières sont couvertes de feuillus. La France est le premier producteur européen de chêne, hêtre et peuplier · 3,5 millions de propriétaires se partagent les 3/4 de la surface forestière française · Chiffre d'affaires : 60 Mrds € · Emplois : 450 000 emplois directs ou indirects · Déficit de la balance commerciale : 6 Mrds € |
Dans les 34 plans de « reconquête industrielle » annoncés par l'Elysée en septembre 2013, on trouve la filière bois. A l'heure de la transition écologique, la filière compte en effet de nombreux atouts. Cette ressource est renouvelable et abondante puisque la France possède la troisième plus grande forêt d'Europe. Pourtant, la balance commerciale du secteur reste largement déficitaire (6 Mds€), un des plus gros déficits après l'énergie. En cause, les exportations croissantes de grumes, surtout vers la Chine, et l'importation de produits transformés. Un rapport interministériel sur les usages non-alimentaires de la biomasse paru en septembre 2012 parle même de pays « en voie de sous-développement » pour la filière bois. Ce n'est pas par manque d'intérêt : plusieurs plans nationaux ont été élaborés. Mais aucun n'a réussi à renverser la tendance.
Sur le papier, l'enjeu parait pourtant simple : mieux mobiliser la ressource française en bois alors que seulement 60 % de la production biologique de la forêt est exploitée. Depuis l'après-guerre, la stratégie nationale consiste principalement à financer les industries aval pour tirer l'offre de bois vers le haut, explique Christophe Chauvin, chercheur à l'Irstea : « Privilégier les gros projets industriels en aval est tentant, mais peut être contreproductif pour structurer la filière bois ». Car cette « sous-utilisation » est structurelle, liée notamment à une forêt privée aux mains de 3,5 millions de propriétaires. Les grosses industries sont souvent incapables de s'articuler avec cette offre dispersée. La dernière politique en date sur la filière bois-énergie en a été la preuve. Les centrales de biomasse géantes soutenues par la Commission de régulation de l'énergie ont été incapables d'augmenter la production de bois. L'échec du projet de complexe d'Erscia dans le Morvan, en est le témoin. Le triptyque scierie-centrale thermique-usine de granulat qui devait être exemplaire d'une filière bois écologique a finalement été suspendu en octobre par une décision du Conseil d'Etat au motif que ses dégâts écologiques irréversibles étaient excessifs au regard des bénéfices...
Conflits d'usages
Au final, les nouveaux projets entrent en concurrence avec les filières en place. « L'industrie papetière ne veut pas entendre parler du bois énergie », illustre Marie-Claude Bergouignan, économiste du CNRS qui travaille sur la filière bois dans les Landes. Ces conflits d'usage sont accentués par un autre paradoxe de la filière : l'augmentation de l'utilisation des coproduits du bois d'œuvre, pour l'énergie notamment, alors que parallèlement l'activité de sciage ne cesse de diminuer. La transformation des feuillus a ainsi baissé de 37 % entre 2002 et 2010, au profit de l'exportation directe des grumes. « Ce faisant, on exporte le bois d'œuvre, mais on exporte aussi tous les produits connexes (souches, branchages, sciures, copeaux, chutes, etc. ndlr) qui sont aujourd'hui très demandés par la filière aval», explique Catherine De Menthière du ministère de l'Agriculture, co-auteur du rapport. En effet, le sciage du bois produit autant de bois d'œuvre que de connexes.
Troisième paradoxe du secteur, l'industrie du bois fait la part belle aux résineux, sous l'influence des marchés développés par les pays du nord de l'Europe notamment. « Cela veut dire que les deux tiers de notre ressource ne sont pas valorisés » car la France compte 70 % de forêts de feuillus, souligne Catherine De Menthière.
Le bois de construction, l'avenir de la filière ?
Pour les experts, la France doit donc soutenir la production de bois d'œuvre de feuillus. Cela passera par le secteur de la construction, selon Gérard Deroubaix, directeur du pôle Environnement-Santé de l'institut technologique FCBA (Forêt, Cellulose, Bois-construction, Ameublement). « Depuis quelques années, le ministère du logement travaille à lever les contraintes réglementaires pour favoriser l'utilisation du bois dans le secteur. Mais il n'arrive pas à imposer un minimum de bois dans les nouveaux bâtiments face au lobby des autres acteurs de la construction », confie Gérard Deroubaix. Aujourd'hui, les matériaux de construction comptent 12% de bois, dont 40% vient directement des scieries françaises. Le secteur devra aussi mieux mobiliser la ressource en bois française. Plusieurs experts défendent pour cela des unités industrielles de taille moyenne à l'aval. « L'enjeu n'est pas la recherche d'économie d'échelle mais l'utilisation optimale des ressources du territoire », souligne Christophe Chauvin.
La nouvelle loi d'Avenir pour l'Agriculture, l'Alimentation et la Forêt dont le titre V vient d'être adopté par l'Assemblée nationale doit justement permettre « d'accompagner une gestion plus durable de la forêt en même temps qu'une meilleure valorisation de la ressource en bois ». Elle consacre notamment le fonds stratégique de la forêt et du bois pour financer les projets d'investissement, de recherche, de développement et d'innovation, souligne le ministère de l'Agriculture.