Publié le 08 juin 2016

ÉNERGIE

Allemagne : coup de froid sur la transition énergétique

Berlin présente aujourd'hui en Conseil des ministres une réforme de la loi sur les énergies renouvelables. Une réforme hautement controversée. Elle prévoit en effet de plafonner la production d’électricité issue de l’éolien, pourtant un pilier de l’Energiewende – la transition énergétique allemande – pour ne pas fragiliser davantage le secteur du charbon. Un secteur très émetteur de CO2, qui demeure néanmoins économiquement existentiel pour les grands énergéticiens. Certains experts dénoncent un choix politique de court terme.

Turbines éoliennes aux abords d'une centrale au charbon dans la région de Bergheim, en Allemagne.
Volker Hartmann / Getty Images Europe / Getty Images / AFP

Un coup de massue. Dans sa nouvelle réforme de sa loi sur les énergies renouvelables, Berlin prévoit une baisse de 25% de la production d’électricité issue de l’éolien offshore par rapport à 2015. Et de... 70% pour l’éolien terrestre ! Certes, la coalition gouvernementale maintient son objectif de 45% d'électricité d'origine renouvelable d'ici 2025, contre un tiers actuellement. Mais le coup d’arrêt signifié au développement de l’éolien paraît paradoxal pour un pays qui n’a de cesse de mettre en avant son Energiewende, sa transition énergétique.

 

Les centrales au charbon dépassées par les nouvelles énergies

 

L’argument avancé par le gouvernement d’Angela Merkel ? Réduire le surplus de production d’électricité qui sature les réseaux de distribution et coûte cher aux contribuables. De fait, l’Allemagne produit plus d’énergie qu’elle n'en consomme (647 milliards de kWh contre 576 milliards en 2015).

En cause : la production issue des centrales au charbon qui reste constante, alors que celle générée par les nouvelles énergies ne cesse d’augmenter dans l’alimentation en électricité du pays. En d’autres termes, les centrales à charbon ne parviennent pas à contenir la concurrence des énergies renouvelables. "Elles se sont développées plus vite que prévu ces dernières 10 années. Dans le même temps, les énergéticiens ont choisi d’investir dans de nouvelles centrales au charbon et au gaz. Ce qui fait qu’actuellement, nous avons trop de centrales en Allemagne. Et ce, malgré l’arrêt progressif des pôles nucléaires", analyse Arne Jungjohann, expert des questions énergétiques à la fondation Heinrich Böll.

Conséquence : la rentabilité des centrales à charbon baisse. Actuellement, le mégawattheure d’électricité à la bourse de Leipzig peine à dépasser la barre des 20 euros. C’est 40 euros de moins qu’il y a cinq ans. Et depuis la faillite du géant américain Peabody, tous les voyants sont au rouge chez les opérateurs traditionnels (E.On, RWE et EnBW). A l’instar de l’ancienne star déchue, leurs bénéfices – et leurs actions – sont en chute libre. A la bourse de Francfort, E.on aura perdu 38% de sa valeur au cours des 12 derniers mois. Son rival RWE ne fait pas mieux : -55% sur la même période. Pire, les statistiques de ces dix dernières années montrent que la valeur boursière de ces deux poids lourds du DAX 30 a chuté de plus de 70%.

 

La sortie du charbon, grande absente de la réforme

 

Pour le gouvernement, il fallait donc trancher entre deux secteurs aux intérêts diamétralement opposés. Et Berlin a opté pour le charbon, une industrie qui nourrit des liens particulièrement forts avec le monde politique allemand : des syndicalistes, industriels, représentants influents du parti conservateur (CDU) et du parti social-démocrate (SPD) forment un puissant lobby charbonnier, qui dispose par ailleurs d’un important relais en la personne du ministre de l’Économie et de l’énergie, le social-démocrate Sigmar Gabriel.

Deux grandes régions demeurent dépendantes du charbon en Allemagne : la Ruhr à l’ouest du pays et le bassin de la Lusace à l’est, toute proche de la frontière polonaise. En 2015, les mines pourvoyaient encore 20 767 emplois (contre 156 731 en 1989). Pour ces régions structurellement fragiles, l’enjeu est donc existentiel.

Mais c’est miser sur le mauvais cheval, argumente l’économiste Claudia Kemfert, spécialiste du secteur énergétique. Il rappelle que les énergies renouvelables emploient aujourd’hui 355 400 personnes et près de 140 000 pour la seule branche de l’éolien. "Cette réforme génère plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions. Les vraies questions n’ont pas été abordées : l’arrêt des subventions au secteur des énergies fossiles et l’amorce d’une sortie progressive du charbon."

Claire Stam, correspondante à Francfort
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