Publié le 23 juin 2023
ÉNERGIE
Pourquoi des militants écologistes s’opposent au projet ferroviaire Lyon-Turin
Une ligne sous haute tension. La manifestation qui s’est tenue les 17 et 18 juin dans la vallée de Maurienne a remis sur le devant de la scène le colossal chantier de la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Un dossier ouvert depuis plus de 30 ans, où partisans et opposants s’affrontent au nom de ... l’intérêt écologique.

JEAN-PIERRE CLATOT / AFP
"Je suis surpris que l’on puisse être écologistes et contre un projet ferroviaire". Le tacle du ministre des Transports, dans la matinale d'Europe 1, n'est pas passé inaperçu. Clément Beaune vise ici les opposants au projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin. En pleine crise climatique, des milliers de militants écologistes ont en effet manifesté contre ce projet. Alors pourquoi des activistes, d'habitude si prompt à défendre le ferroviaire, s'opposent-ils à ce projet d'envergure ? Entre coût financier et impact écologique, Novethic fait le point sur ce dossier d'envergure.
En quoi consiste ce projet vieux de 30 ans ?
Ce chantier titanesque consiste en la création d’une ligne à grande vitesse de 270 kilomètres afin de relier Lyon et Turin, avec un tunnel de 57,5 km entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse, creusé dans les Alpes. À date, plus de 32 kilomètres de tunnel ont déjà été creusés de part et d’autre de la frontière pour une mise en service d’ici à 2032, comme le promet le consortium franco-italien Tunnel Euroalpin Lyon-Turin (Telt), en charge de la réalisation du tunnel transfrontalier.
Concernant son coût global, ce dernier est passé de 12 milliards d’euros en 2002 à plus de 26 milliards, voire 30 milliards d’euros si on prend en compte l’inflation. Le tunnel à lui seul a été réévalué par la Cour des comptes européenne à 9,6 milliards d'euros, contre 5,2 milliards initialement. Des chiffres que conteste Telt. "Le financement, ce n’est absolument pas 30 milliards, mais bien 6 pour le tunnel et 6 pour son accès", insiste le consortium, précisant qu’"en réalité, cela coûte 100 millions d’euros par an à la France".
Pourquoi ce chantier est-il si clivant ?
Ce projet répondait à une volonté européenne, notamment entre la France et l’Italie, de réduire le transport routier en développant plus largement le fret ferroviaire. Car pour les promoteurs du projet, le Lyon-Turin permettrait de désengorger les vallées alpines, en transférant un million de camions sur les rails. Une gageure ? Le transport de marchandises dans les Alpes se fait à plus de 90% par camion et rien n'est prévu pour inciter les transporteurs à privilégier le train, plus coûteux.
Un grand nombre d’opposants au Lyon-Turin ne nie pas l’intérêt du report modal de la route vers le rail. Mais ils défendent aujourd’hui la nécessité de privilégier l’existant, c’est-à-dire la ligne ferroviaire historique Dijon-Ambérieu-Chambéry-Modane-Turin passant par le tunnel du Mont-Cenis. Et qui serait "sous-exploitée", comme l’explique à Novethic Daniel Ibanez, porte-parole de la coordination des opposants au projet Lyon-Turin. "Cette ligne permettrait d'absorber le trafic actuel", explique-t-il.
Pour les partisans, la question n’est pas là. "Même si l’on investissait davantage dans la ligne existante pour augmenter sa capacité, cela ne serait pas suffisant pour répondre à la demande future", explique auprès de Novethic Stéphane Guggino, délégué général du comité pour la Transalpine. "Avec le tunnel existant, c’est 30 à 40 trains par jour, voire 70 trains au maximum, alors qu'avec la nouvelle ligne Lyon-Turin, ce sera 162 trains de fret par jour prévus dès sa mise en service." Mais ça, c'est en faisant le pari que les transporteurs jouent le jeu en quittant la route pour le rail. En 2020, le fret ferroviaire ne représentait que 10% du transport de marchandises.
L'impact environnemental en débat
L’impact environnemental du chantier est également contesté. Et, plus précisément le bénéfice de la ligne une fois construite. En 2012, Telt assurait que la construction de cette liaison générerait 10 millions de tonnes d’émissions de CO2. À partir de ces données et l’estimation du trafic, la Cour des comptes européenne avait estimé en 2020 que ces émissions ne seraient compensées qu’entre 25 et 50 ans après son entrée en service. Un chiffre que dément catégoriquement le promoteur du chantier qui assure auprès de Novethic que le projet "sera amorti comme convenu 15 ans après la mise en service du tunnel".
À cela s’ajoute l’impact sur les réserves en eaux. Les militants pro-environnement dénoncent l’épuisement de certaines sources. Par exemple, les fontaines de la commune de la Villarodin-Bourget ont cessé de couler, et ce dès le début du chantier. Ce que conteste Telt, qui assure "n’avoir constaté aucun tarissement de source d’eau potable depuis le début des travaux du Lyon-Turin". Ajoutant : "On ne nie pas l’impact environnemental du projet, mais nous cherchons à le limiter et nous avons également mis en place des actions de compensations, dans le strict respect de la loi et même au-delà".
Militants ou encore élus EELV et Insoumis appellent aujourd'hui à l’arrêt immédiat du chantier. Ces derniers ont d'ailleurs lancé le 14 juin dernier une commission d’enquête parlementaire informelle sur le projet du Lyon-Turin, avec l’objectif d’en faire un débat à portée "nationale", comme l’a expliqué à la presse la cheffe de file des députés insoumis Mathilde Panot. Le premier rapport pourrait être rendu "d’ici six à huit mois".