Publié le 29 avril 2014
ÉNERGIE
Les colis verts sont entrés dans Paris
Gilles Manuelle n’est pas fou. Le co-fondateur de la société "Vert chez vous" a pourtant fait, il y a 2 ans, le pari incroyable de prendre à contre-pied le marché saturé de la livraison de petits colis dans Paris. Avec un objectif : mettre en place un modèle économique à la fois vertueux écologiquement et rentable économiquement. Cela s’appelle le bateau-vélo. Et ça marche !
© Emilie Denêtre
5h30 du matin à Pantin. Un petit vent frisquet s’engouffre sous la polaire de Pascal. Le chef de quai de la société "Vert chez vous" frissonne. L’homme, toujours en mouvement, est du genre minutieux. Il passe et repasse devant chaque palette, pour vérifier "que tout y est". Chaque jour, plusieurs centaines de colis transitent en effet, par ce grand entrepôt de la banlieue parisienne. Que ce soit l’américain FedEx, Raja, leader dans la fourniture de bureau ou le designer japonnais Muji, toutes ces grandes marques font aujourd’hui confiance à la petite société de 25 personnes, pour livrer leurs colis dans Paris. "Il faut que l’on assure" souffle Farid, un livreur chevronné, "car ici, on veut tous que l’entreprise fonctionne".
Au tri des marchandises, la règle est simple : tous les petits paquets, peu volumineux, et destinés au cœur de Paris (3ème, 4ème, 5ème, 6ème, 12ème et 13ème arrondissements) partent systématiquement sur les quais de Seine dans la péniche, nommée le Vokoli. Ils sont acheminés depuis Pantin grâce à des camions propres, roulant au gaz naturel. Des camions qui vont ensuite poursuivre leur route dans la capitale pour déposer les colis les plus lourds ou livrer les clients les plus éloignés. Véritable entrepôt flottant, la cale de cet imposant bateau a été aménagée pour les besoins de l’entreprise. À l’intérieur, une dizaine de gros vélos électriques, à trois roues et munis de remorques, sont garés en épis. Les livreurs, écharpes autour du cou, trient leurs paquets, et élaborent, carte de Paris à la main, leurs tournées du matin. Sur un pan de mur, les batteries des vélos et des téléphones portables se rechargent. Un peu de musique en fond sonore, un léger roulis, quelques bruits métalliques. Dans cet espace pourtant étroit, tout le monde trouve sa place.
Réutiliser la Seine
Utiliser la Seine comme artère principale avant de s’appuyer sur le vélo pour finaliser les livraisons au cœur de la capitale. Deux modes de déplacements doux, qui font de "Vert chez vous" une entreprise écologiquement vertueuse. Et si le vélo ne roule pas aussi vite qu’une voiture, il garde tout de même une vitesse constante tout au long de son parcours, et surtout, il se gare facilement sur un coin de trottoir. "Beaucoup de temps de gagné au final" assure Gilles Manuelle. "Pour que le modèle fonctionne, il faut créer, ce qu’on appelle en logistique, des boucles" poursuit-il.
Ainsi pendant que les triporteurs livrent, la péniche avance sur la Seine et le tri s’y poursuit. Les vélos retrouvent le bateau à la halte de chargement suivante : quai de Tolbiac, quai Henri IV ou quai des Grands Augustins. Mais le directeur de la jeune société avoue, avec son regard bleu-franc, que tout n’est pas rose. Comme l’entreprise refuse le dumping social, elle n’est pas aussi compétitive que certaines sociétés de livraison. Elle peine donc à conquérir de nouveaux marchés. Pourtant Gilles Manuelle et ses actionnaires réfléchissent à investir dans une nouvelle péniche, plus large et plus adaptée, qui permettrait alors d’augmenter le flux de livraison journalier sans accroître les coûts fixes. Leur atout pour l’avenir ? "La prise de conscience par la société et les politiques des problèmes de pollution liés aux livraisons dans les zones très urbanisées" assène le chef d’entreprise. En effet, le transport de marchandises en Ile de France est responsable à lui seul de 10 % des émissions de gaz à effet de serre de la région. Il poursuit : "le jour où les camions diesel seront interdits dans Paris, nous, on sera là "! Il n’est pas le seul à croire en son modèle. L’année passée, la société "Vert chez Vous » a été récompensée par le Trophée de la Mobilité de la région Ile de France, dans la catégorie marchandises. La société a été primée pour sa démarche écologique exemplaire, conforme aux enjeux définis dans le Plan de développement urbain (PDU) porté par le STIF, (Syndicat des transports en Ile de France).
Chargé c’est livré !
Pour pénétrer le maillage urbain très dense d’une ville comme Paris, l’idée de Gilles Manuelle, le directeur de la société, est d’associer le fluvial au vélo. 13h30 : Quai des Grands Augustins, la péniche accoste. Un livreur amarre le bateau à l’aide d’une lourde corde. Dans l’antre du bateau, les triporteurs sont chargés, prêts à livrer. Le treuil les dépose sur le quai. Nolween jette un dernier coup d’œil sur son itinéraire. La seule femme de l’équipe a été embauchée il y a deux mois. Elle avoue dans un sourire que sans l’assistance électrique de son vélo, le travail serait vraiment pénible. Mais là, c’est avec facilité qu’elle remonte la rampe pavée qui la sépare de la rue. En quelques coups de pédales, le premier point de livraison est déjà atteint. Nolween se gare en face de la porte d’entrée. En moins de 3 minutes, le colis est remis dans les mains du destinataire. La jeune femme va ainsi enchaîner une quarantaine de livraisons dans son après-midi. Elle ne chôme pas. Et si au final, peu de destinataires ne prendront le temps de s’interroger sur l’approche écologique de la société qui les a livrés, le triporteur attire tout de même quelques regards dans les rues de Paris. Des papas curieux s’arrêtent avec leurs enfants. Les personnes âgées sourient devant l’engin imposant. Un mot ou deux échangés. L’idée intrigue. Les colis Verts font leur chemin dans Paris.