Publié le 16 avril 2022
ÉNERGIE
Laura Foglia, The Shift Project : "Avec la ville du quart d’heure, il faut rendre désirable un imaginaire lié à la vie de proximité"
À l’occasion de l’élection présidentielle, Novethic se penche sur ces débats oubliés, ceux qui n’occupent pas le terrain médiatique mais qui sont pourtant vitaux. Zoom aujourd'hui sur la mobilité durable avec Laura Foglia, responsable de projets Mobilité au sein du Shift Project. Le think tank a publié secteur par secteur un plan de transformation de l’économie pour atteindre la neutralité carbone.

@OTTOIZ
Selon vous, la question de mobilité durable ne devrait pas se résumer aux seuls moyens de se déplacer mais il faudrait aussi intégrer le raccourcissement des distances. Par quoi cela passe-t-il ?
Cela passe par la remise en cause du modèle d’urbanisation qui s’est développé après la seconde guerre mondiale, ce qu’on appelle communément "les années voiture". Avec la hausse de la population, la périurbanisation s’est généralisée et beaucoup d’espaces ont été conçus au service de la circulation automobile. Dans le même temps, les lieux d’activités, les centres commerciaux, les zones industrielles, ont été délocalisés à l’extérieur des centres-villes. Aujourd’hui, il est très difficile de revenir en arrière car les habitudes sont ancrées.
Mais une politique de mobilité durable nécessite de réduire les distances car les gains en termes d’émissions de CO2 enregistrés sur les véhicules ont été plus que compensés par l’augmentation des distances. Rien que pour la mobilité quotidienne, nos trajets ont augmenté de 50 % par rapport aux années 80. Et pour la mobilité en général, quotidienne et longue distance, les distances ont été multipliés par 4,7 depuis les années 60. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire du report modal vers des modes de transport moins carbonés, mais il s’agit de ne pas oublier la composante essentielle des distances parcourues.
Que peut-on faire pour recréer de la proximité justement ?
Beaucoup d’actions sont possibles. Par exemple, sur les projets à venir, nous pourrions introduire des moratoires sur les zones commerciales ou d’activités qui se trouvent en dehors des centres-villes, loin des transports en commun existants ou inaccessibles en vélo ou à pied. Par exemple, on pourrait décider de ne pas soutenir une entreprise qui s’implante loin du centre et de tout réseau de transports en commun, en raison du prix du foncier. Or, ce qui se passe bien souvent, c’est que l’entreprise, une fois installée, demande aux autorités publiques la mise en place de solutions de transports. Dans ce cas de figure, c’est le collectif qui se met au service du profit privé. Cette logique doit être inversée.
Pour ce qui est de l’existant, il faut réintroduire des services de proximité, des magasins, des écoles, des possibilités de travailler et miser sur la mixité fonctionnelle des espaces. Il faut pouvoir accéder aux services de base sans avoir recours à sa voiture même dans les zones les moins denses. La ville du quart d’heure, défendue par de nombreuses personnalités, résume assez bien ce principe mais il faut que ce soit un quart d’heure réalisé en mode décarboné, à pied ou en vélo.
Comment rendre ce modèle désirable ?
Aujourd’hui, l’un des points noirs de la mobilité ce sont les SUV (ils sont les deuxièmes contributeurs à la hausse des émissions de CO2 devant les avions ou les navires, ndr). Il faudrait réussir à inverser la tendance en régulant par exemple leur publicité et réfléchir au fait que posséder un SUV n’est pas très raisonnable face aux crises énergétiques qui vont se multiplier. Il devient de plus en plus stratégique de donner envie de se déplacer avec des véhicules plus légers, à vélo ou à pied. Il faut réorienter le désir vers autre chose que faire des kilomètres. Un exemple encourageant nous vient du vélo, qui a été longtemps ringardisé et dévalorisé car la modernité était incarnée par la voiture. Aujourd’hui, il connaît une évolution à contre-courant avec une explosion des ventes. Il faut rendre désirable un imaginaire lié à la vie de proximité.
Propos recueillis par Concepcion Alvarez @conce1
*Guide pour une mobilité quotidienne bas-carbone, publié par The Shift Project et coordonné par Laura Foglia.