Publié le 17 novembre 2022
ÉNERGIE
L’industrie automobile en route vers l’électrification peine encore à changer de modèle
L’industrie automobile apparaît bien engagée pour passer au véhicule électrique, les annonces en ce sens se multipliant sous l'effet du durcissement des normes. Mais la transition se passe moins facilement qu'il n'y parait car les constructeurs automobiles demeurent encore bien accros au moteur thermique. Ils poursuivent un travail intense de lobbying au niveau européen pour amoindrir les réglementations sur les émissions des véhicules.

@CCO
Les annonces des constructeurs automobiles s’enchaînent sur le passage de leurs gammes à l’électrique. Entre Renault qui crée une filiale dédiée, Volkswagen qui fait la course derrière Tesla, ou Stellantis qui annonce ne plus lancer que des modèles électriques à partir de 2026, le secteur semble bien décidé à sortir du véhicule à moteur thermique. Mais sur le terrain, le passage à l’électrique semble prendre son temps. Greenpeace Allemagne s’alarme ainsi des projections de vente de voitures des principaux constructeurs pour les années à venir, loin de respecter l’objectif de l’Accord de Paris.
Les experts de l’ONG ont d’abord estimé les prévisions de vente de véhicules à moteur thermique prévus par quatre grands constructeurs mondiaux d’ici 2040, Toyota, Volkswagen, Hyundai-Kia et General Motors. À l’heure actuelle, l’industrie automobile devrait écouler autour de 712 millions de véhicules à essence ou diesel sur la période. Puis, ils ont comparé ces prévisions au nombre limite de véhicules thermiques qu’il faudrait mettre en circulation pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris. Pour Greenpeace, les constructeurs devraient se limiter à moins de 315 millions de ventes pour rester alignés avec l’objectif de 1,5°C de réchauffement. La stratégie actuelle des constructeurs devrait donc mettre sur les routes près de 400 millions de voitures à essence ou diesel en trop.
Une transition bien trop lente
"Les principaux constructeurs automobiles, dont Toyota, Volkswagen et Hyundai, font une transition bien trop lente vers des véhicules à zéro émission, ce qui a des conséquences dangereuses pour la planète", analyse Benjamin Stephan, expert climat chez Greenpeace Allemagne. Selon lui, "les entreprises automobiles doivent arrêter de vendre des véhicules diesel et à essence, dont des hybrides, d’ici 2030 au plus tard".
Le secteur automobile, une industrie de temps long, se met en mouvement à son rythme. Elle se retrouve aujourd’hui coincée dans un paradoxe, celui de devoir décarboner son modèle, avec des engagements affichés haut et fort sur l’électrification de ses gammes, tout en poursuivant pour encore quelques années la production et la vente de véhicules thermiques. Les groupes de pression des constructeurs usent de ce paradoxe pour freiner les réglementations.
Comme celle sur la fin du moteur thermique en Europe, que les constructeurs ont tenté d’amoindrir. Des dirigeants comme Carlos Tavares, PDG de Stellantis, n’ont pas hésité à fustiger cette réglementation lors du Salon de l’Automobile, parce qu’elle ne lui laisse pas le choix de la technologie. Il avait pourtant présenté quelques mois plus tôt une stratégie électrique ambitieuse. Sans succès cette fois, eurodéputés et États membres ayant validé le 27 octobre dernier la fin du moteur thermique en Europe en 2035. "C’est une décision très positive, reconnaît Marie Chéron, responsable politiques véhicules chez Transport & Environnement. Mais on observe aussi d’autres signaux d’alerte inquiétants."
Une réglementation trop timide
La réglementation sur les normes d’émissions polluantes des véhicules, présentée par la Commission européenne la semaine suivante, a ainsi été édulcorée par le lobbying des constructeurs, selon l’ONG. La norme Euro 7 renforce les obligations de réduction des émissions polluantes des véhicules, qui devront baisser de 35% sur les oxydes d’azote et de 13% sur les particules d’ici 2035 par rapport à la norme précédente. La Commission a ajouté des obligations sur les émissions de particules du freinage et des pneus. Le tout devrait entraîner un surcoût compris entre 90 et 150 euros sur les voitures.
Des seuils bien trop timorés pour Transport & Environnement. "Avec les technologies existantes, sans changement profond des motorisations, on aurait pu réduire de 50% les émissions polluantes, pour un surcoût de l’ordre de 300 euros par véhicule", assure Marie Chéron. La rigueur des réglementations européennes est pourtant ce qui a réellement permis le décollage des ventes de véhicules électriques en Europe. "Si on ne les renforce pas, le risque c’est que cela n’incite plus les constructeurs à vendre plus de véhicules électriques. On assiste déjà à une baisse de la croissance des ventes", reprend Marie Chéron.
Les ventes de véhicules 100% électriques atteignaient 12% du total des ventes de voitures en France à fin août 2022. La progression est continue depuis 2018, mais l'électrique ne représente toujours que moins de 1% de l'ensemble des voitures en circulation.
Arnaud Dumas, @ADumas5