Publié le 08 février 2016

ÉNERGIE

La péninsule arabique mise sur les énergies renouvelables

La fin du tout pétrole? Ces derniers temps, les producteurs pétroliers de la péninsule arabique affichent une nouvelle ambition de développement des énergies renouvelables (ENR) électriques sur leur territoire. L'un de leurs principaux objectifs : réduire leur propre consommation d’hydrocarbures pour maximiser les revenus liés à l’exportation de pétrole et de gaz. Une nécessité d’autant plus forte que les cours du brut sont bas. Les efforts de ces pays en matière d’énergies renouvelables restent pourtant à concrétiser ; la part des ENR est pour l'heure très faible. 

Panneaux solaires arabie saoudite moyen orient istock
image d'illustration
istock photo

Entre 2014 et 2030 le Qatar devrait multiplier par 60 sa capacité de production électrique d'origine renouvelable. Avec 1 800 MW à cet horizon, les énergies renouvelables devraient ainsi comter pour 20% de la capacité de production électrique totale.Autant dire que le Qatar mise clairement sur le développement des énergies renouvelables. Et il n'est pas le seul.

"Depuis plusieurs années déjà, les membres du CCG, ou Conseil de coopération du Golfe Arabique (Arabie Saoudite, Qatar, Émirats Arabes Unis, Koweït, Oman, Bahreïn, ndlr), se positionnent en tant qu’acteurs essentiels du développement des énergies renouvelables", affirme ainsi Adnan Z. Amin, le directeur général de l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA), dans une étude parue en janvier. 

La chute des cours du brut n’altère pas leur motivation, bien au contraire. Début 2015, Dubaï (EAU) a triplé son objectif ENR à l’horizon 2030, pour le porter à 15% du mix énergétique.

 

Exporter plus de pétrole et de gaz 

 

Un paradoxe pour des pays qui détiennent près d’un tiers des réserves prouvées mondiales de pétrole et un cinquième de celles de gaz? Pas tout à fait. Car ceux-ci ont de bonnes raisons de miser aussi sur les énergies renouvelables.  

D’abord, ils souhaitent ainsi exporter davantage de pétrole. Une nécessité d’autant plus importante que les prix du brut sont bas. Du fait de l’augmentation de leur population et de leur niveau de vie, ces pays ont tendance à consommer de plus en plus d’électricité. Or, ils utilisent traditionnellement des hydrocarbures pour faire tourner les centrales électriques. Autant de pétrole et de gaz qu’il serait plus intéressant pour eux d’exporter. 

Prenons l'exemple de l’Arabie Saoudite. Le 1er exportateur mondial de pétrole, en est désormais aussi le 7ème consommateur. Et au rythme de l’augmentation actuel de ses besoins pétroliers, le pays pourrait devenir importateur net de pétrole d’ici 2038 selon une étude du think tank Chatham House. C'est ce que le pays semble vouloir éviter.

Développer les énergies renouvelables peut leur permettre d'y arriver et d'alléger la facture. D’après l’IRENA, si les pays du Golfe arabique atteignent leurs objectifs ENR, ils éviteront de consommer 2,5 milliards de barils équivalent pétrole entre 2015 et 2030, soit l’équivalent de 55 à 87 milliards de dollars selon l’évolution des prix du brut et du gaz.  

 

Diversifier les économies 

 

Autre bénéfice, la diversification de leur économie. En 2013, les gouvernements du CCG ont tiré près de 80 % de leurs revenus des exportations pétrolières et gazières. Les faibles prix du brut, dont la chute a été entamée mi-2014, renforcent leur envie de réduire leur dépendance aux hydrocarbures.

"Une expertise en matière d’ENR est en train de se développer dans la région", constate Kate Dourian, analyste énergie pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à l’Agence Internationale de l’Énergie. Pour preuve, l’existence de spécialistes des énergies renouvelables, tels que les compagnies saoudiennes ACWA Power et Abdul Latif Jameel ou l’Émiratie Masdar. Si les objectifs sont atteints, en 2030, 210 000 personnes pourraient travailler dans les ENR dans la région.

L’éolien y contribuerait, en particulier en Arabie Saoudite, au Koweït et dans le sultanat d’Oman. Mais c’est dans le photovoltaïque ou les centrales solaires à concentration que devraient travailler 85 % des employés des ENR.

 

Les ENR compétitives malgré la chute des cours du brut

 

Pour ce faire, les pays du Golfe arabique disposent d’un énorme potentiel, notamment dans le solaire. Les coûts de cette énergie y sont parmi les plus faibles au monde. En 2015, un appel d’offres lancé par Dubaï (EAU) a débouché sur un prix de l’électricité de 0,06 dollar par kWh. Un niveau record. Du coup, malgré la baisse du prix des énergies fossiles, les technologies ENR restent compétitives. 

Au-delà de leur intérêt économique, les énergies renouvelables contribueront aussi à limiter les émissions de gaz à effet de serre de ces pays très émetteurs. Rappelons par exemple que si l'on rapporte les émissions au nombre d'habitants d'un pays, le Qatar est le plus gros émetteur mondial avec 40 tonnes d'émissions de CO2 par tête et par an. Les objectifs énergétiques des membres du CCG pourraient ainsi réduire les émissions de CO2 par habitant de 8% d’ici 2030.

Un argument qui reste cependant peu développé par les pays eux-mêmes. Car"l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP, dont font partie l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït et les EAU, ndlr) a toujours joué un rôle plutôt obstructeur dans les négociations climatiques, souligne Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS. Il était inadmissible pour elle qu'un accord sur le climat, en particulier celui de Paris, évoque la possibilité d'un monde post-énergies fossiles." Mais là encore, le vent pourrait tourner.

 

Le renouvelable encore peu développé

 

"On observe un frémissement dans le développement des ENR dans ces pays. Est-ce l’hirondelle qui annonce le printemps ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais je pense que ces pays, où la hausse des températures risque de rendre certaines régions inhabitables, ont évolué dans le bon sens ces dernières années sur la question du changement climatique", estime toutefois Kate Dourian. "Peut-être pourra-t-on y voir une évolution un peu comparable à celle de la Chine, que les problèmes de pollution atmosphérique ont rendue beaucoup plus sensible aux questions environnementales", espère Pascale Motel-Combes, professeur à l’École d’Économie de l’Université d’Auvergne.

Avec la lutte contre le changement climatique, qui devrait mettre fin à la dominance des énergies fossiles d’ici quelques décennies, les pays du Golfe arabique ont tout intérêt à utiliser leur rente pétrolière pour anticiper la transition énergétique.

Seulement, si le potentiel et les projets prévus à court et moyen termes semblent prometteurs, le développement actuel des ENR reste encore embryonnaire. Fin 2014, ces énergies représentaient moins de 1% des 120 GW de capacité électrique installée dans la région. 

 

 

Carole Lanzi
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