Publié le 24 juillet 2014
ÉNERGIE
En Russie, des panneaux solaires dans le cercle polaire
La Russie, première puissance énergétique du globe, n’était pas attendue sur le terrain du photovoltaïque. Et pourtant: la Yakoutie a approuvé un projet de loi sur les énergies renouvelables et prévoit d’équiper plus de 150 sites en centrales solaires. Un défi matériel dans la zone habitée la plus froide de la planète. Mais aussi la promesse d’économies, d’autonomie pour les villages isolés et d’un bénéfice environnemental.

© RAO EC Vostok
En République de Sakha, ou Yakoutie, les hivers glacials n’empêchent pas le soleil de briller. Sur la plus grande partie du territoire, équivalente à la moitié de l’Europe, la région russe expérimente donc l’installation de panneaux photovoltaïques pour ses nombreux villages isolés, chauffés et éclairés jusqu’à présent par de petites centrales diesel. Car là-bas, seuls les grands bassins de population sont connectés au réseau électrique.
Fin juin, le gouvernement yakoute a approuvé un projet de loi sur les énergies renouvelables (EnR), bientôt examiné par le Parlement local. Objectif: faciliter l’investissement, principal frein à leur développement en Russie, par des incitations fiscales et autres formes de soutien public.
La Yakoutie, pionnière du solaire russe
Premier fournisseur d’énergie en Extrême-Orient russe, RAO EC Vostok compte mettre sur la table 11 milliards de roubles (240,3 millions d’euros) pour financer 176 projets d’EnR d’ici à 2020. Une somme inédite pour la Russie. L’entreprise a repéré en Yakoutie 132 sites potentiels pour des centrales photovoltaïques hybrides, d’une capacité de 20kW à plusieurs MW, soit jusqu’à 43,1 MW au total. Elle a pris en compte le potentiel naturel, la consommation d’électricité, les charges du générateur diesel et le coût d’investissement estimé pour le transport du matériel et la construction.
Les panneaux photovoltaïques ont déjà prouvé leur résistance à la rigueur du climat. L’une des cinq centrales pilotes a affronté deux hivers à –60 °C. "Nous capitalisons l’été, bien sûr, car les journées sont longues ; pendant une période, le soleil ne se couche pas. Mais même en hiver, les résultats montrent qu’elles continuent à produire de l’électricité malgré des conditions difficiles", assure Alexeï Kaplun, directeur général adjoint de la stratégie et de l’investissement de RAO EC Vostok. Un équipement spécial permet de modifier l’angle des panneaux en fonction de la hauteur du soleil à l’horizon. Ce système accroît la production annuelle d’environ 20%.
En 2015, c’est à Batagaï, dans le cercle polaire, qu’une centrale solaire de 2,5 à 4 MW sera mise en place, une première en Russie. RAO EC Vostok travaille notamment avec une entreprise allemande à des solutions pour installer des panneaux sur le permafrost, le nom géologique qui désigne le sol gelé en permanence.
Compétitif face au diesel
Même dans sa version minimale, la station de Batagaï permettra d’économiser près de 30 millions de roubles de carburant par an (645 000 euros). Le prix de ce dernier ne cesse de croître, et la consommation totale annuelle des 2 000 générateurs diesel de Yakoutie devrait coûter 10 milliards de roubles (215 millions d’euros) dans dix ans, contre 6,5 milliards aujourd’hui. Son acheminement, également, est problématique et onéreux. Dans certaines zones reculées difficiles d’accès, le processus de livraison peut prendre deux ans… Sans compter les économies d’échelle et le bénéfice environnemental, le retour sur investissement des projets pilotes dans le solaire est évalué entre sept et dix ans.
Des perspectives alléchantes pour les entreprises étrangères
Fin juin, une conférence internationale sur les EnR dans les systèmes isolés a réuni plus de 300 professionnels dans la capitale, Yakoutsk, dont une PME française, Helios Strategia. Son directeur général, Christophe Heriau, a présenté sa batterie à flux nouvelle génération pour centrales solaires. Inopérante à une température inférieure à –5°C, "elle peut être facilement placée dans un conteneur isolant du froid". Quant aux panneaux photovoltaïques vendus par la compagnie, ils peuvent être garantis jusqu’à –50°C, "et bientôt –60°C", espère le dirigeant.
Mikhail Lebedev, directeur de l’Institut des problèmes techniques et physiques du Nord, a, de son côté, évoqué un projet de panneaux à base de nanomatériaux, capables de produire 2,5 fois plus d’énergie que le silicium à un coût moindre.
Incitations fiscales, apport financier du plus gros fournisseur d’énergie en Extrême-Orient russe, technologies performantes: la Yakoutie réunit tous les atouts pour servir l’ambition du gouvernement russe dans sa recherche d’un approvisionnement énergétique propre.