Publié le 01 septembre 2016
ÉNERGIE
La concertation, clé de voûte de l’acceptabilité de l’éolien
Si l’éolien est la première énergie renouvelable d’Europe, la France accuse un certain retard en la matière, malgré la multiplication des projets. Le problème ? La difficile acceptation par les riverains des champs d’éoliennes. Les collectivités territoriales et les grands groupes français lancent donc de plus en plus de concertations locales, qui vont jusqu’à la co-construction du projet. David Heinry est président d’Alter&Go Concertation, un cabinet créé il y a près de deux ans (octobre 2014), qui organise des concertations notamment autour de projets éoliens. Entre 5 et 10 projets sont ainsi accompagnés chaque année. Entretien.

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Novethic : Il y a quelques mois, des sénateurs ont tenté de faire adopter un amendement qui interdisait l’installation d’éoliennes à moins de 10 km de monuments historiques. A quel point cela est-il révélateur du rejet des éoliennes en France ?
David Heinry : Cela reflète le manque de confiance en France et le manque de dialogue constructif qu’il peut y avoir sur les territoires entre les porteurs de projet, les autorités, les élus, d’une part, et les riverains, la société civile plus globalement, d’autre part.
Ce que nous constatons depuis quelques années, c’est que les phénomènes de blocage ne sont pas forcément plus importants mais ils sont plus radicaux. Par exemple, il y des porteurs de projet qui n’arrivent même plus à présenter correctement leur projet tant les procès d’intention et la méfiance sont fortes.
Nous préconisons donc de changer d’approche. Il ne faut pas prendre les territoires comme des plans d’occupation des sols. Plutôt que de vendre son projet, il faudrait plutôt poser les bases d’un dialogue constructif, d’une concertation où les avis – même contraires – peuvent s’exprimer.
Vous prônez une concertation qui inclurait davantage les habitants ?
L’erreur qui est souvent commise c’est que ces projets arrivent déjà tout ficelés lors de l’enquête publique. Ils ont été discutés en amont avec les élus, et les riverains ont l’impression de ne plus avoir leur mot à dire. Ils sont intégrés beaucoup trop tard dans la concertation, car on a tendance à mettre les gens dans des cases : une case "économie", une case "politique", une case "environnement"... Mais les citoyens sont beaucoup plus intelligents que ça. Ils veulent participer activement sur toutes les thématiques d’un projet : son implantation, son envergure, ce qu’il va produire, ce qu’il va apporter localement. Ils veulent co-construire et être acteurs de leur environnement et de l’avenir de leur territoire.
Nous pensons donc qu’il faut embarquer tout le monde dès le départ. La concertation ne doit pas démarrer avec l’enquête publique mais en amont, un an ou deux avant. Cela permet de laisser une plus grande marge de manœuvre pour écouter ce que veulent les acteurs locaux et les autres acteurs, et montrer concrètement et régulièrement en quoi le projet a été modifié et enrichi, comment on a tenu compte, ou pas, de la contribution des parties prenantes. La concertation n’est pas une boîte de Pandore, mais au moins tout le monde aura eu l’occasion de s’exprimer pour concevoir un vrai projet pour le territoire.
Récolter des idées
Concrètement, comment vous y prenez-vous ?
Nous commençons par une phase d’écoute du territoire qui dure de deux à trois mois. On va voir tout un tas d’acteurs issus de domaines différents (tourisme, scolaire, associatif, culturel, les riverains, les politiques...) pour recueillir leur perception de l’éolien sur le territoire. Il s’agit de récolter des idées, de définir ce qu’ils attendent d’une concertation et ainsi établir les modalités d’action. Après, notre métier, c’est de faire converger tout cela.
La deuxième phase est collective avec des ateliers, des réunions, où on fait l’interface avec le développeur et ses prestataires techniques qui mènent des études afin de partager les résultats et co-créer le projet ensemble, en toute transparence. Cela prend nécessairement plus de temps, il faut faire preuve de plus d’écoute, il faut mettre sans doute plus d’énergie mais le résultat est bien meilleur.
Parfois, il nous arrive ainsi de dire au développeur que le projet ne pourra pas se faire... C’est la règle du jeu. Mais ça reste rare. Nous pouvons aussi être amenés à demander au développeur de repousser le projet, ou l’enquête publique, pour permettre le temps de la co-construction.
Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer sur les territoires où vous menez justement ce travail de concertation ?
On a parfois des territoires où les citoyens sont passifs, voire même méfiants et défiants, démontrant le fossé qui s’est creusé entre le monde politique et la société civile. Les gens sont désabusés et résignés. Ils ne voient pas l’intérêt de se mobiliser dans une concertation où on va leur imposer un projet. Nous nous battons contre cela, car un projet qui se passe bien, ce n’est surtout pas un projet où il ne se passe rien.
Notre travail consiste alors à redonner aux gens l’envie de s’inscrire dans le débat public, recréer de la confiance, du lien social, montrer aux gens qu’à leur échelle, ils peuvent compter et démontrer que le collectif a du sens et qu’ils peuvent peser dans les décisions prises.
Abandonner ses certitudes
Les développeurs de projets éoliens ont-ils changé leur approche dans le sens que vous préconisez ?
Un bon nombre de développeurs se posent la question et ont pris conscience qu’il fallait faire évoluer leurs pratiques et leur approche. Il y a plusieurs raisons à cela : les blocages qui se radicalisent plus souvent, mais aussi le fait que les services de l’État sont très attentifs à la concertation, qui fait désormais partie des facteurs clés de succès d’un projet, au même titre que l’aspect technique ou le respect de l’environnement.
Mais l’adaptabilité aux évolutions et aux nouvelles attentes de la société reste encore souvent compliquée. Il faut revenir sur les process, voire même sur certaines croyances et certitudes. Nous essayons de transmettre l’idée par exemple que tout le monde peut être contributeur et que personne n’est opposant ou passif pour toujours.
Certains développeurs ont compris qu’ils ne pouvaient plus se limiter à informer ou communiquer sur un projet, mais qu’ils doivent concerter dès le démarrage, le plus en amont possible, et ce jusqu’à la mise en route, voire même pendant l’exploitation du projet. C’est une relation qu’il faut tisser avec le territoire. Cela nécessite une évolution du métier de chef de projet éolien.
On pense à des projets comme Notre-Dame-des-Landes, Sivens ou Bure, qui suscitent une opposition très forte. Quelle y a été la place de la concertation ?
Dans bon nombre de ces projets, les modalités et les thèmes de concertation ont été définis en amont, sans consultation des habitants. Aujourd’hui, quand on voit le résultat du référendum pour Notre-Dame-des-Landes, on ne peut pas dire que cela a amélioré la situation. Nous ne voyons pas de consensus mais toujours le camp des pour d’un côté et celui des contre, qui représente quand même 45% des votants, de l’autre.
La solution n’est pas de cliver, mais de construire un projet collectif et commun, qui donne envie et rassemble la plus grande majorité des acteurs. Il faut remettre un peu d’humanité dans tout cela même si c’est compliqué.
Peut-être qu’il faudrait faire un moratoire de deux ans sur certains projets, remettre les choses à plat, reconstruire un troisième projet qui rassemble la plus grande majorité d’acteurs, qui fasse sens pour tout le monde et, surtout, prendre le temps de le faire. Alors bien sûr, on va nous répondre que cela fait 25 ans qu’on y est, que toutes les études ont été faites, etc. Mais c’est un choix à faire et il est question ici d’avoir de la méthode et de réussir le changement. Les blocages coûtent bien plus cher que d’investir dans la concertation.
Nous croyons que la question du sens est primordiale. Quand on ne vous propose aucune vision d’avenir enthousiasmante, la première réaction, bien légitime, est d’avoir peur, parce qu’on sait ce que l’on perd et pas ce que l’on gagne. Pour réussir les projets, il faut leur redonner un sens local, développer un désir et l’envie de co-construire. Bref : recréer du lien social autour.