Publié le 26 mai 2014

ÉNERGIE

Californie : les éoliennes de la discorde

Dans le petit village d’Ocotillo, l’installation d’une ferme éolienne divise la population. Les opposants au projet, minoritaires, ont multiplié les initiatives pour obtenir son démantèlement. Reportage.

Ocotillo
A Ocotillo, en Californie, les éoliennes sont surmontées de balises lumineuses destinées à informer les avions de leurs présence.
© Flore Geffroy-Kearley

De l’autoroute en provenance de San Diego, à 130 km de là, il faut pousser jusqu’à la sortie County Rte S2/North Imperial Hwy, puis tourner sur la gauche : bienvenue à Ocotillo, ses 266 âmes, ses 21,4 % de chômage, sa rue principale, droite comme un I poussiéreux… Et ses éoliennes, qui, ce jour-là, tournent mollement sous un soleil de plomb.


Jusqu’à il y a quatre ans, Ocotillo n’était connue que pour être le portail d’entrée du désert de rocaille menant à un site de camping prisé par les touristes occasionnels et les habitants de San Diego, friands d’un week-end nature.

Mais voilà : la législation californienne stipule que, d’ici  2020, 33 % de l’énergie du "Golden State" doit provenir de sources renouvelables. Solaires ou éoliens, les projets fleurissent. Et voilà comment Ocotillo s’est retrouvée sur le devant de la scène, avec le projet de construction de 112 éoliennes par le groupe Pattern Energy – qui gère déjà onze sites aux États-Unis, au Canada et en Chine – pouvant produire jusqu’à 265 mégawatt d’électricité. Une production à même d’éclairer 130 000 foyers par an.

Ocotillo est sise sur un site dont les terres dépendent du gouvernement fédéral, via le Bureau of Land Management. Des milliers d’hectares d’espace protégé, abritant  une riche diversité animale et végétale propres au climat, sec et aride. Mais un espace fragile. Lézards aux noms exotiques, mouflon d’Amérique, aigle royal, plantes qui ne poussent nulle part ailleurs sont l’image de marque de la région.

 

Un écosystème et un patrimoine préservés

 

Lorsque Pattern Energy s’est vu attribuer 5 000 hectares pour installer ses éoliennes, le projet (d’un coût total de 600 millions de dollars) n’a pas fait que des heureux. Les turbines, des Siemens d’une capacité de 2,3 MW, tournent pourtant depuis la mi-2013, malgré les nombreux procès engagés par des associations de défense de l’environnement, sans oublier les tribus amérindiennes de la région (Quechan, Cocopah et plusieurs tribus Kumeyaay).

Ces dernières ont recensé plus de 400 sites archéologiques, sites de cérémonie ou de demeures funéraires, géoglyphes (vastes dessins ou motifs à même le sol réalisés en pierre, en terre ou en gravier) faisant partie de leur histoire et de leurs traditions. En vain.

Thomas tient l’unique et modeste épicerie-station service de la bourgade. Il ne veut se fâcher avec personne - "Sinon, je peux mettre la clé sous la porte" - mais admet volontiers que l’arrivée des éoliennes a créé des clans : "il y a une poignée d’irréductibles qui refusent d’accepter les éoliennes. Ils font beaucoup de bruit depuis le début".

Les très nombreux articles de presse publiés dans East County Magazine, une publication locale, se font l’écho de leur acharnement buté, qu’ils documentent avec moult photos de turbines suintant l’huile, chemins de terre défoncés, flore dévastée ou poussière s’élevant dans le ciel. "La vérité, précise Thomas, c’est que tout est exagéré. La poussière ? On est dans le désert. Le bruit de moteurs d’avion qu’on entend sans arrêt ? Il faut vraiment être au pied des turbines pour l’entendre". Et de se désoler des panneaux virulents qui pavoisent de l’autre côté de la rue, dénonçant les installations à quelques centaines de mètres des habitations pour les plus proches. "Allez voir à côté, ajoute Thomas. Ils sont tous contre le projet". À côté ?

 

Rancœurs et désinformation

 

Le Lazy Lizard est un saloon comme on en trouve dans ces endroits un peu perdus. Donna, la tenancière et la cinquantaine, n’est guère bavarde avec l’étranger. "Les éoliennes sont là, qu’est-ce qu’on peut y faire ? Ils ne vont pas les enlever"! C’est ce qu’une information annonçait début avril : un juge avait ordonné le démantèlement de l’installation complète, à la plus grande joie des opposants et des tribus amérindiennes. Un poisson d’avril qui s’est répandu comme une traînée de poudre.

Assis au comptoir, une bière à la main, Andy, un régulier du saloon, grommelle : "On ne nous a jamais informés ni consultés. Et ils ont tout détruit". Donna rectifie : "On a eu des lettres d’informations régulièrement. Et les chemins de terre tracés sur tout le site n’ont pas tué la flore. Ils replantaient chaque arbuste, chaque plante qu’ils déterraient quand ils les construisaient. Pattern a aussi monté une tour de surveillance, pour éviter que les oiseaux n’aillent se fracasser contre les pales".

Certaines turbines devraient même être prochainement remplacées par un autre modèle, sans pale, afin de diminuer le risque pour les oiseaux. "J’ai quand même plein d’allergies depuis que les éoliennes sont là, intervient Jean-Claude, un Français établi à Ocotillo. Moi, ce qui me dérange le plus, c’est la nuit, avec ces lumières rouges qui embrasent presque le ciel, et qui servent à avertir les avions de la présence des turbines. On ne voit que ça de la route".

Dernière accusation lancée contre Pattern Energy : l’insuffisance des vents sur le site. Quand les irréductibles détracteurs du projet mettent en avant le rapport d’un "expert international indépendant" sur la question, la compagnie réplique avec une étude sur les conditions météorologiques menée sur trois ans. L’objectif de production annoncé n’est pas encore tout à fait atteint, mais les dernières éoliennes n’ont été installées qu’au début de l’année.


Ocotillo, 266 âmes, n’a pas fini de se déchirer sur ses moulins à vents.

Flore Geffroy-Kearley, envoyée spéciale
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