Publié le 19 mai 2016

ÉNERGIE

Total mise sur les renouvelables… pour mieux vendre son gaz

Chez Total, les annonces d’investissements dans l’électricité et les énergies renouvelables (EnR) se multiplient. Elles traduisent une évolution notable : la major pétrolière apparaît désormais comme la plus proactive dans l’adaptation à la transition énergétique. Il ne faut pas y voir pour autant un changement de business model. Total vise en réalité à promouvoir le gaz, qui reste le pilier central de sa stratégie d’entreprise. Les ONG dénoncent son double langage et ses nombreux projets incompatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique.

Patrick Pouyanne, Directeur général de Total, était présent lors de l'ouverture officielle du site de Shetland Gas Plant, au Royaume-Uni, le 16 mai 2016.
Andy Buchanan / Digital / AFP

SOMMAIRE

Un vent de changement paraît souffler chez Total. "2015 marque un tournant : il n’y a plus de débat (ndlr : sur le réchauffement climatique). 195 pays ont signé un accord. Chez Total, nous pouvons aborder le sujet comme une opportunité", a déclaré le 18 mai le pdg de la compagnie, Patrick Pouyanné, auditionné au Sénat.

Le groupe affirme avoir intégré dans sa stratégie l’objectif visant à limiter le réchauffement de la planète à 2°C. Cette opportunité, c’est en particulier celle de l’électricité, qui sera selon lui "l’énergie du XXIe siècle".

Le groupe pétrolier a ainsi récemment multiplié les annonces dans ce secteur. Dernière en date : le projet de rachat du fabricant de batteries électriques Saft.

Par ailleurs, une nouvelle branche spécialisée dans le gaz, les ENR et l’électricité doit naître en septembre. Elle comprendra une direction "Innovation et Efficacité énergétique". Car Total entend développer des services d’efficacité énergétique. Le groupe dispose déjà deux petites filiales spécialisées dans ce domaine.

 

Objectif : devenir le leader des biocarburants

 

Les objectifs du groupe à vingt ans sont ambitieux : devenir leader dans les biocarburants, se maintenir parmi les trois premiers acteurs mondiaux du solaire – Total est aujourd’hui n°2 grâce à sa filiale américaine SunPower acquise en 2011 – et porter la part des énergies nouvelles à 20% de son portefeuille. Le chemin à parcourir reste très long puisque SunPower et Saft n’ont pesé à eux deux que 1,5% du chiffre d’affaires de Total en 2015.

Le pétrolier vient de rejoindre l’organisation à but non lucratif Terawatt, qui vise à promouvoir l’énergie solaire et envisage même de se lancer dans l’éolien.

Autre initiative : la mise en place cette année d’une entité dédiée au Captage et stockage de carbone (CSC). Après s’être d’abord beaucoup intéressé au sujet, Total en avait ensuite réduit l’importance dans ses réflexions. Mais l’issue de la COP21 l’a conduit à remettre le CSC au premier plan.

 

Pas encore de changement de business model

 

De fait, avec les politiques de lutte contre le changement climatique, les compagnies pétrolières doivent changer de cap. "Total est la première major à le prendre en compte en faisant des annonces d’une telle importance. Elle apparaît désormais comme la major la plus proactive dans l’adaptation à la transition énergétique", estime Olivier Rech, responsable de la recherche Énergie-Climat chez Beyond Ratings.

Mais si Total entend diversifier son mix énergétique, c’est aussi pour s’adapter à l’évolution de la production d’hydrocarbures. Depuis plusieurs années, les compagnies pétrolières peinent à maintenir leur débit de brut. Elles sont donc devenues de plus en plus des sociétés gazières. "Mais à l’horizon d’une dizaine d’années, c’est aussi leur production de gaz qui va commencer à décliner", explique Olivier Rech. D’où la nécessité de se lancer dans de nouvelles énergies.

Peut-on pour autant parler d’un changement de business model ? Ce serait aller un peu vite en besogne. Si Total et d’autres grands énergéticiens ont pris le contrôle des associations européennes du solaire (1) et de l’éolien (2), c’est pour freiner la transition énergétique, comme l’indiquait l’an dernier The Guardian. En réalité, l’objectif de ces groupes est de laisser la plus grande place possible au gaz. Leur discours : face à l’intermittence de la production renouvelable, le gaz est un complément indispensable.

 

Éviter une transition énergétique trop rapide

 

"Les énergéticiens traditionnels veulent entrer sur les nouveaux marchés de l’énergie, en particulier les ENR, car c’est là qu’ils peuvent trouver des relais de croissance. Mais cela leur permet aussi d’intervenir autant que possible dans l’évolution des nouveaux secteurs, pour éviter qu’ils ne bouleversent trop vite leur cœur de métier", explique Yves Marignac.

Malheureusement, sur le plan climatique, cette stratégie gazière n’est pas sans danger. "Comme le dit l’Agence internationale de l’énergie, à force de présenter le gaz comme un bon remplacement au charbon et le meilleur moyen de palier l’intermittence des ENR, il risque de devenir la première source d’émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines décennies", rappelle Matthieu Auzanneau, chargé de la prospective du think tank Shift Project.

Sans compter que Total poursuit ses investissements dans des projets que les ONG jugent incompatibles avec la lutte contre le réchauffement : hydrocarbures de schiste, offshore profond… Certains craignent d’ailleurs que ses récentes annonces lui servent avant tout à verdir son image. Le groupe s’est vu reprocher fin 2015 son double langage sur le climat du fait de son appartenance à des associations tendant à freiner la lutte contre le réchauffement climatique. "Il existe un très grand décalage entre la part qu’occupent les ENR d’un côté dans la communication du groupe et, de l’autre, dans ses activités", constate Laureline Bourit des Amis de la Terre, une ONG qui dénonce les atteintes environnementales causées par le groupe.

 

(1) SolarPower Europe
(2) WindEurope
Carole Lanzi
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