Publié le 29 avril 2023
ÉNERGIE
Shell admet que pour rester sous 1,5°C, la production de pétrole et gaz ne doit plus augmenter
Shell admet pour la première fois que pour rester sous 1,5°C de réchauffement, il ne faut plus augmenter la production de gaz et de pétrole. Pour autant, la major, sous le coup de plusieurs actions en justice, n'a pas modifié sa trajectoire et mise encore largement sur les énergies fossiles.

@Greenpeace
Il faut bien chercher pour le trouver. Mais en épluchant les nouveaux scénarios climatiques publiés par Shell, Carbon Brief a découvert que le pétrolier britannique admettait pour la première fois que rester sous l'objectif de 1,5°C de réchauffement signifiait la fin immédiate de la croissance des combustibles fossiles. "C’est significatif car cela provient de l'une des plus grandes sociétés pétrolières et gazières publiques au monde", explique le site d’information. C’est d’autant plus important que dans les scénarios précédents, l’objectif 1,5°C était jusqu'alors toujours lié à une croissance des énergies fossiles à court terme.
Carbon Brief a extrait les données des graphiques fournis dans le rapport du groupe et montre que le pic de production de pétrole et de gaz est en fait déjà passé. "Dans le nouveau scénario 1,5°C, la production de pétrole n'est jamais supérieure à ce qu'elle était en 2022. La production baisse et stagne jusqu'en 2028, date à laquelle elle commence à chuter rapidement", note le site. Pour le gaz, le pic de la demande se produit avec quinze ans d’avance par rapport aux précédents scénarios. Enfin, la production de charbon chute à compter de 2025, toujours dans le nouveau scénario 1,5°C.
22% de renouvelables d'ici 2030
Cependant, si ces scénarios apparaissent plus conformes à ceux produits par l’Agence internationale de l’énergie ou encore le Giec, ils ne sont pas encore alignés dessus. Le scénario 1,5°C de Shell implique une baisse de la production de pétrole et de gaz de seulement 2% et 6%, respectivement, d'ici 2030, alors qu’il faudrait plutôt se situer dans une fourchette comprise entre 15 et 30%. L’ONG Reclaim Finance, qui a analysé les engagements climatiques des neuf majors européennes et américaines, estime ainsi que Shell n’est toujours pas sur la bonne trajectoire.
"Shell ne s’est pas engagée à cesser de développer de nouveaux projets pétroliers et gaziers au-delà de ceux déjà en cours de développement", déplore l’ONG. Elle a calculé qu’en 2022, le groupe avait alloué 21,1 milliards de dollars au pétrole et au gaz, contre 298 millions de dollars pour sa division "Renewables & Energy Solutions" qui n'inclut pas que les renouvelables, soit un ratio de 6 pour 1…Selon ses prévisions, les énergies renouvelables ne devraient constituer que 22% du mix énergétique de la major d’ici 2030.
En outre, l’entreprise a été épinglée dans le scandale des crédits carbone de mauvaise qualité révélé par les journal britannique The Guardian et l'allemand Die Zeit au début de l’année. L'ancien scénario 1,5°C de Shell impliquait le reboisement de 678 millions d'hectares, via notamment l'achat de crédits carbone. Un chiffre totalement irréaliste qui dépassait le potentiel mondial de plantation d'arbres estimé à 673 millions d'hectares. Dans le nouveau scénario 1,5°C, c’est le chiffre de 202 millions d’hectares qui a été conservé. En revanche, il repose pour la première fois sur une mise à l'échelle substantielle de la capture directe du dioxyde de carbone (DAC) pour aspirer le CO2 de l'atmosphère, une technologie controversée, encore peu mature, très énergivore et coûteuse.
Dès 1989, Shell connaissait précisément les impacts du changement climatique
Dans un jugement "historique", en mai 2021, Shell avait été condamné par un tribunal néerlandais à réduire ses émissions de CO2 de 45% d'ici 2030. La multinationale était accusée par Greenpeace, ActionAid et plusieurs ONG de ne pas s'aligner sur l'Accord de Paris. En début d’année, ce sont les onze membres du conseil d'administration de Shell qui ont aussi été visés par une plainte devant la justice britannique pour leur gestion "défaillante" des risques du changement climatique.
Mais ce n'est pas tout. Aux États-Unis, la major est accusée d’avoir dissimulé les dangers climatiques posés par l’industrie fossile, aux côtés d'autres majors comme ExxonMobil, Chevron et BP. Un document interne datant de 1989, révélé par Mediapart, démontre que Shell connaissait précisément les impacts du changement climatique, bien avant les premiers rapports du Giec. Le scénario "business as usual" du groupe prédisait ainsi des conditions météorologiques "plus violentes – plus de tempêtes, plus de sécheresses, plus de déluges", mais aussi que "le niveau moyen de la mer augmenterait d’au moins 30 centimètres" et que "les modèles agricoles seraient radicalement modifiés".
C’est pourtant ce scénario que l’entreprise a choisi de suivre. Et plus de trente ans après, alors que les impacts du changement climatique se font déjà sentir, conformément aux prévisions de Shell, son nouveau PDG Wael Sawan a récemment déclaré que "réduire la production de pétrole et de gaz n'était pas sain" en référence à l’envolée des prix et son impact sur les consommateurs. "Je suis fermement convaincu que le monde aura besoin de pétrole et de gaz pendant encore longtemps", a-t-il lancé.