Publié le 27 janvier 2015
ÉNERGIE
Chute des cours du brut : le modèle économique du secteur pétrolier menacé
Les compagnies pétrolières et parapétrolières sont contraintes de se serrer la ceinture face à la chute des cours du brut. Les petites sociétés d’exploration-production qui ont financé leur développement par la dette sont les plus impactées. Les majors, elles, sont pressées de s’expliquer sur la compatibilité de leur business model (modèle économique) avec les risques liés au changement climatique. Dans ce contexte, certains investisseurs se détournent du secteur pétrolier.

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SOMMAIRE
- Dossier : Energies fossiles, l’impasse du statu quo
- BP, Exxon, Shell et Total jugent la taxe carbone favorable à leur business
- Climat : pourquoi les géants pétroliers soutiennent l'Accord de Paris
- Total mise sur les renouvelables… pour mieux vendre son gaz
- Toujours en perte de vitesse, les énergéticiens européens obligés de revoir leur business model
- Chute des cours du brut : le modèle économique du secteur pétrolier menacé
- La chute de Peabody, symbole de la faillite du charbon américain
Les cours du brut ont chuté d’environ 55% depuis mi-2014, déclenchant une succession d’annonces de mesures d’économie dans le secteur pétrolier. Total vient d’annoncer une baisse de l’ordre de 10% de ses investissements entre 2014 et 2015. L’américain ConocoPhillips va réduire les siens de 20% cette année.
Tous les pays sont touchés par ses baisses d’investissements. Les dépenses d’exploration et de production des compagnies pétrolières devraient en moyenne diminuer de 10 à 15% à travers le monde en 2015, selon une étude réalisée par la société de conseil en investissement Evercore auprès de 300 sociétés. Rien qu’en Amérique du Nord, la baisse devrait atteindre 25 à 30%.
Des réductions drastiques d’effectifs
Conséquence logique de ces investissements revus à la baisse (mais qui devraient tout de même rester deux fois plus importants qu’en 2005 !): les sociétés de services parapétroliers sont elles aussi durement touchées. Schlumberger vient d’annoncer 9000 suppressions de postes. Baker Hughes va en supprimer 7000.
Les projets potentiellement les plus affectés sont bien sûr ceux pour lesquels les coûts de production sont les plus élevés: offshore profond, hydrocarbures non conventionnels (pétrole de schiste, sables bitumineux canadiens…). Ce sont aussi les plus complexes et les plus risqués.
Un seuil de rentabilité souvent supérieur au cours du baril
Le seuil de rentabilité de l’huile de schiste américaine est compris, selon les projets, entre 40 et 75 dollars par baril ($/bl), estime Jérôme Halbout, président du fonds d’investissement dans l’énergie 4D Global Energy Advisors. Or, ces derniers temps, le cours du brut est descendu à moins de 50 $/bl. Mais il devrait s’écouler plusieurs mois avant que la réduction ou l’arrêt des investissements ne se fasse sentir dans la production.
Dans l’offshore profond, qui demande des techniques de pointe et présente des risques élevés, les seuils de rentabilité sont souvent supérieurs au cours actuel du baril. De quoi décourager certains investisseurs.
Ainsi, le cours de l’action des sociétés spécialisées dans les forages en eaux profondes Transocean, Seadrill, Ensco et Diamond a diminué en moyenne de 56% depuis janvier 2014, a constaté le cabinet d’études Douglas-Westwood (au 19/01/2015).
Par ailleurs, "certaines sociétés pétrolières qui font seulement de l’exploration et qui comptent sur les marchés pour se financer sont en difficulté. Car les marchés d’actions n’ont pas d’appétence à financer des découvertes dont le développement n’est pas aujourd’hui rentable", explique Pascal Menges, analyste-gérant Energie au sein de la banque Lombard Odier.
Des rachats en perspective
Ce sont donc surtout les petites sociétés pétrolières ayant crû rapidement ces dernières années en se finançant par la dette qui sont les plus impactées par la chute des cours du brut, constate-t-il. C’est notamment le cas pour les gaz et pétrole de schiste américains: beaucoup de petites sociétés ont eu recours, pour se financer, à des obligations à haut risque, ou high yield bonds, note Jérôme Halbout. Toutes ne seront plus en mesure d’honorer leurs dettes et les cas de défauts aboutiront à des rachats de gisements par des investisseurs spécialisés.
Dans ce contexte, les opérations sont sans doute amenées à se multiplier dans les prochains mois dans le secteur pétrolier: rachats de petites sociétés en difficulté, mais aussi joint-ventures, rachats d’actifs…
Disposant d’assises financières solides, plus diversifiés, les grands groupes pétroliers sont moins impactés. Du moins pour l’instant, car de plus en plus d’actionnaires et d’investisseurs responsables interrogent les majors sur la compatibilité de leur business model avec les risques liés au changement climatique. C’est notamment ce qui se passe actuellement pour Shell ou BP.
Des doutes sur la rentabilité de long terme du secteur face au risque carbone
Dans une note publiée le 23 janvier, Charlie Thomas, gérant du fonds Jupiter Global Ecology Growth, rappelle que la lutte contre le changement climatique pourrait faire fondre la valeur des réserves pétrolières des compagnies.
Une partie de ces réserves (qui deviendraient alors des "actifs échoués") pourrait en effet ne jamais être produite afin de protéger le climat. "Il est bien sûr possible que le débat sur les actifs échoués soit prématuré", note Charlie Thomas. Dans un premier temps, "le prix du pétrole pourrait remonter et remettre à flot les réserves d’énergie fossile obtenues à un coût élevé", précise-t-il.
En attendant, estime le gérant Energie de Lombard Odier "le prix actuel du pétrole n’est pas soutenable pour une industrie qui investit 600 à 700 milliards de dollars par an pour ne faire croître la production pétrolière que de 1%".