Publié le 16 septembre 2022
ÉNERGIE
Nouvelle condamnation pour Eacop et Tilenga, les mégaprojets controversés de TotalEnergies en Afrique
Les mégaprojets d’extraction de pétrole (Tilenga) et d'oléoduc immense (Eacop) portés par TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie, suscitaient déjà l’ire de la société civile et de certains investisseurs. C’est maintenant au tour du Parlement européen de les condamner pour leurs conséquences sur les droits humains et l’environnement. L'institution demande de reporter d'un an le lancement de cette "bombe climatique".

@CCO
Les oppositions aux projets d'extraction pétrolière (Tilenga) et d'oléoduc (Eacop) de TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie se multiplient. Après les citoyens, des ONG et certains investisseurs, c’est désormais au tour du Parlement européen de condamner ce mégaprojet d'exploitation pétrolière qui vise notamment la construction du plus long pipeline chauffé au monde (plus de 1 400 kilomètres). Les eurodéputés, réunis en session plénière jeudi 15 septembre, ont voté à une large majorité un texte, non contraignant, les condamnant. L'institution se dit "vivement préoccupée par les violations des droits de l'Homme" commises, citant des "arrestations, actes d’intimidation et harcèlement judiciaire contre les défenseurs des droits humains et les organisations non gouvernementales".
Le Parlement européen demande ainsi l’arrêt des forages dans les zones "protégées et sensibles" et appelle le groupe français à prendre une année avant le lancement du projet afin d’étudier "la faisabilité d’un autre itinéraire" et d’"envisager d’autres projets reposant sur les énergies renouvelables". Les eurodéputés demandent aussi l’arrêt des violations des droits humains, et notamment la libération "immédiate" des défenseurs des droits de l’Homme. Il se prononcent enfin en faveur d'une indemnisation déployée "rapidement, de manière juste et suffisante" aux personnes expropriées et privées de leurs terres.
Une avancée importante dans la lutte contre l'Eacop
Si ces mégaprojets ont un temps suscité l'espoir des autorités ougandaises de voir leur pays se transformer en eldorado pétrolier, il sont aujourd'hui l'objet des plus vives inquiétudes. Les associations redoutent le déplacement de plus de 100 000 personnes, dont des dizaines de milliers d'agriculteurs qui se verront privés de leurs terres. Par ailleurs, la construction du pipeline mais aussi le forage de centaines de puits de pétrole dans plusieurs réserves naturelles, représentent une menace écologique pour cette région riche en biodiversité.
Les nombreux opposants d'Eacop saluent donc la décision du Parlement européen, à commencer par Juliette Renaud, responsable de campagne aux Amis de la Terre, pour qui cette décision "envoie un signal politique fort contre les projets Tilenga et EACOP de Total, dont les coûts humains, environnementaux et climatiques sont indéniables et tout simplement inacceptables".
Même satisfecit de Clémence Dubois, responsable en France de l’ONG 350.org : "Il s'agit d'une avancée importante dans la lutte contre l'Eacop", affirme la militante qui qualifie le projet de "bombe climatique". "Nous ne nous arrêterons pas tant que le projet ne sera pas arrêté. Aucune banque ou financier qui soutient actuellement Total ne peut ignorer sa responsabilité", ajoute-t-elle. La mobilisation citoyenne a d'ores et déjà incité 11 banques dont BNP Paribas, Crédit Suisse ou JPMorgan Chase et trois compagnies d’assurance dont Axa à refuser de financer le projet.
Un "enjeu majeur pour l’Ouganda" selon TotalEnergies
De son côté, TotalEnergies estime que ces projets "constituent un enjeu majeur pour l’Ouganda et la Tanzanie". "Nous mettons tout en œuvre pour en faire un projet exemplaire en termes de transparence, de prospérité partagée, de progrès économique et social, de développement durable, de prise en compte de l'environnement et de respect des droits humains", lâche un porte-parole. Pour illustrer sa volonté de transparence sur Tilenga et EACOP, TotalEnergies rappelle ses engagements sur le site dédié au projet : un programme d’acquisition foncière dans les meilleurs standards internationaux, la consultation de 70 000 personnes sur les impacts environnementaux et sociaux du projet et une attention particulière portée au parc de Murchinson Falls visant à minimiser l’impact de l’oléoduc Tilenga. Enfin TotalEnergies s’engage à ce que les deux projets aient un impact positif net sur la biodiversité ce qui sous-entend que la compagnie compense les dommages environnementaux causés par l’exploitation pétrolière par des programmes de "réintroduction du rhinocéros noir en Ouganda" et, autant que faire se peut, de "favoriser le maintien des habitats forestiers pour protéger les chimpanzés". Le pétrolier a accéléré son lancement en février en signant un accord d'investissement de 10 milliards de dollars avec l'Ouganda, la Tanzanie et le géant pétrolier chinois CNOOC.
Mais le coup de frein au projet pourrait venir de la loi française. En effet, les ONG ont lancé une action en justice contre le groupe pétrolier en France basée sur la loi sur le devoir de vigilance (qui oblige les plus grandes entreprises à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et l’environnement sur toute leur chaîne d'approvisionnement). Après deux années de bataille procédurale, la Cour de cassation a reconnu en novembre dernier la compétence du tribunal judiciaire, et non du tribunal commercial comme le souhaitait TotalEnergies, à juger cette affaire. Une audience de fond se tiendra le 12 octobre prochain. Ce sera la première affaire judiciaire sur le non-respect de cette loi.
Mathilde Golla @MathGolla