Publié le 21 octobre 2014
ÉNERGIE
Fort Berthold : l’environnement miné par une exploitation sans retenue
La réserve indienne de Fort Berthold paye le prix fort. L’extraction du pétrole de schiste à marche forcée empoisonne le sous-sol, fait fuir les animaux et met la flore en danger. La surveillance des 12 000 puits, qui peuvent fuir à tout moment, est assurée par… 2 agents.

© Compte Facebook de Theresa Birdbear
Dans une zone "frackée" comme l’est Fort Berthold, la pollution n’est pas spectaculaire. Pas de nappe géante de pétrole ni d’oiseaux englués ici, mais une myriade de taches mouchetant la prairie à perte de vue et un sous-sol gorgé par les débordements des forages. http://www.propublica.org/special/north-dakota-spills
Principal acteur de cette pollution, le trafic routier. Pour chaque puits, des milliers de chargements sont nécessaires en eau, sable, produits chimiques et matériel, sur des routes départementales déjà mal en point. Des va-et-vient à multiplier par le nombre de derricks qui pompent l’or noir nuit et jour.
Au volant, les chauffeurs sont payés à la charge et non pas à l’heure, et roulent jusqu’à 14 heures par jour. Certains ne prennent même pas le temps de faire la queue pour décharger leur matériel contaminé dans les "puits d’enfouissement", où ils sont stockés sine die, et lâchent leur cargaison le long des routes.
Des fuites contrôlées "mollement"
Avec le temps, chacun des puits peut fuir, mettant en contact direct les produits pétrochimiques avec les nappes phréatiques. De l’aveu du chef de la section environnement du ministère de la Santé du Dakota du Nord, Dave Glatt, ils ne sont pas contrôlés.
Des fuites de pipeline peuvent survenir. Comme celle du 4 juillet 2014, sur les rives du lac Sakakawea. Elle a été repérée plusieurs jours plus tard, à cause des végétaux morts suivant son tracé. Un résidu industriel de l’activité pétrolière – mélange d’eau radioactive, d’hydrocarbures et de produits chimiques appelés brine –s’est répandu dans le lac en quantité inconnue. L’enquête, confiée au bureau des affaires indiennes, a fait du surplace et aujourd’hui, nul ne sait combien de mètres cubes de brine se sont déversés. Les activistes indiens estiment l’étendue de la fuite à plus 400 000 m3.
Les autorités régulatrices du Dakota du Nord, à qui les tribus délèguent en général les pouvoirs d’enquête en cas de problème, ont bien peu de moyens pour surveiller une industrie qui rapporte énormément d’argent à l’Etat. Et dont les intérêts penchent vers des contrôles réduits au minimum.
En 2013, 2 agents seulement étaient chargés de surveiller quelque 12 000 puits, et ni l’un ni l’autre n’habitait dans la région. D’une manière générale, les autorités laissent l’industrie s’autoréguler : elles n’interviennent qu’a posteriori et font confiance aux compagnies pour notifier les fuites.
Les habitants pris au piège
Les incidences sur la faune et la flore se sont déjà fait sentir. La chasse au daim est interdite depuis 2012 à Fort Berthold, à cause de la raréfaction de l’espèce, et l’association environnementale Dakota Ressource Council rapporte la disparition d’un oiseau nicheur, le barge, des rives de la rivière Missouri ainsi qu’un déclin de la vie sauvage.
Theodora Bird Bear, une retraitée, traque les fuites à Fort Berthold grâce à une caméra qu’elle porte sur elle en permanence. A 62 ans, cette grand-mère "pense qu’elle doit le faire parce que personne d’autre ne le fera à [sa] place". Elle a d’abord envoyé ses rapports aux autorités de l’Etat. Faute de réponse, elle les publie dorénavant sur le Web.
"Un jour, dit-elle, le boom s’achèvera. Les caravanes et les compagnies pétrolières partiront. Il ne restera que nous." Seuls et avec de très lourds problèmes environnementaux.