Publié le 28 mars 2023
ÉNERGIE
TotalEnergies confirme sa participation au très controversé projet de gaz de schiste Rio Grande LNG au Texas
TotalEnergies vient officiellement d'annoncer sa participation au projet de gaz naturel liquéfié Rio Grande au Texas. Un projet très controversé d'exportation de gaz de schiste liquéfié, qui n'a cessé d'être reporté ces dernières années, mais dont la production pourrait finalement démarrer dès 2027. L'AIE estime pourtant que pour respecter l'objectif 1,5°C, il ne faudrait plus de nouveaux terminaux de GNL au-delà de ceux approuvés avant le 1er janvier 2023.

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C’est un projet qu’on pensait enterré mais qui semble bel et bien ressuscité… Situé au Texas, à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, Rio Grande LNG, un projet de terminal méthanier exportant du gaz naturel liquéfié (GNL), produit notamment à partir de gaz de schiste, est pourtant extrêmement controversé. Dans les cartons depuis 2017, il avait été plusieurs fois retardé en raison d’un contexte économique défavorable au déploiement du gaz de schiste, qui plus est très décrié pour ses impacts environnementaux. Mais la guerre en Ukraine et la fin des approvisionnements en gaz russe au sein de l’Union européenne ont changé la donne.
Les États et les entreprises tentent par tous les moyens de décrocher des contrats de gaz naturel liquéfié afin de sécuriser leurs approvisionnements. Ainsi, après de persistantes rumeurs, TotalEnergies vient de confirmer qu'il avait signé un accord-cadre avec l’entreprise américaine NextDecade pour participer au développement du projet Rio Grande LNG. La major pétrolière française donne ainsi au projet la dernière impulsion pour déclencher la décision finale d’investissement, qui est attendue au cours des prochaines semaines "pour un démarrage de la production en 2027", précise le groupe dans un communiqué.
"Pas de politique ferme à l’égard de l’importation de gaz de schiste"
"Notre participation à ce projet ajoutera 5,4 millions de tonnes par an de GNL à notre portefeuille mondial, renforçant ainsi notre capacité à participer à la sécurité d’approvisionnement en gaz de l’Europe et à fournir à nos clients asiatiques une énergie alternative, deux fois moins émettrice que le charbon", se réjouit Patrick Pouyanné, Président-directeur général de TotalEnergies. Mais pour les ONG, la relance de ce projet est incompatible avec le scénario Net Zero Emissions de l’Agence internationale de l’énergie, qui vise à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Celui-ci prévoit en effet la fin des nouveaux terminaux de GNL au-delà de ceux approuvés avant le 1er janvier 2023.
TotalEnergies n’est pas la seule entreprise à s'engouffrer dans la brèche. En 2022, Engie s’était également engagée auprès de NextDecade à acheter à partir de 2026 et jusqu’en 2041 du gaz liquéfié (GNL) exporté via son terminal texan Rio Grande LNG. Quelques mois plus tôt, l’énergéticien tricolore signait aussi un contrat d’importation de gaz de schiste en France avec Cheniere, courant là aussi jusqu’en 2041. Le tout avec l’approbation du gouvernement français, actionnaire d’Engie. Celui-ci avait pourtant fait annuler un contrat d’importation de gaz de schiste américain lié à Rio Grande LNG en 2020 car cet accord "ne correspondait pas" à sa politique de transition écologique.
Depuis, la situation a changé. "Ce contrat incarne comme jamais l’hypocrisie et le double discours du gouvernement vis-à-vis du climat et de la crise énergétique. L’État principal actionnaire d’Engie rejetait en 2020 la signature d’un tel contrat car contraire à ses prétentions environnementales, pour mieux revenir aujourd’hui sur cette décision en donnant activement ou implicitement son feu vert", avait alors réagi Lorette Philippot, chargée de campagne Finance privée aux Amis de la terre France. Contactée par Novethic, elle estime que le gouvernement n’a "jamais vraiment eu de politique ferme à l’égard de l’importation de gaz de schiste", dont la production à travers la fracturation hydraulique est interdite en France.
BNPParibas, Société générale et Crédit agricole disent non
Pour faire barrage au projet, les ONG tentent dès lors de sensibiliser les financeurs. Dans une lettre datant du 8 mars, envoyée aux principales banques mondiales et à la Net zero banking alliance (NZBA), 37 organisations appellent les institutions financières à s'engager à ne fournir aucun soutien financier aux projets d'exportation de gaz fracturé du sud du Texas. "L'objectif européen de sécurité énergétique en réponse à la guerre en Ukraine ne peut justifier la construction de nouvelles capacités de transport de GNL car l’alternative au gaz russe réside dans les économies, l'efficacité et les énergies renouvelables", écrivent-elles.
En France, BNP Paribas a pris un engagement public en ce sens, en bannissant le financement de projets liés aux énergies fossiles non conventionnelles. Crédit agricole nous affirme de son côté qu'il ne financera pas Rio Grande LNG. Société Générale qui était conseiller financier sur le dossier, s'est aussi retiré au premier trimestre 2022, indique la banque à Novethic. "Mais si des banques comme Société Générale ne soutiendront pas directement Rio Grande LNG, elles n'en restent pas moins des soutiens majeurs de TotalEnergies qui utilise l'argent des banques pour développer ce type de projet", souligne Yann Louvel, analyste senior politiques sectorielles à Reclaim Finance.
La crainte est que ces investissements ne deviennent à terme des actifs échoués, c'est-à-dire des actifs qui perdent leur valeur à cause de l'évolution du marché. Selon une analyse de l'Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), les capacités d'importation actuellement prévues dépasseraient largement la demande de GNL d'ici 2030. L'intérêt d'un projet comme Rio Grande LNG reste donc à démontrer. Il exportera à plein régime 27 millions de tonnes de GNL, l'équivalent de la consommation annuelle de 20 millions de foyers.
Outre sa pertinence économique, les ONG estiment aussi qu'il "nuirait aux populations locales, violeraient les droits autochtones, dégraderait les écosystèmes, et nous enfermerait dans des décennies d'émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique".