Publié le 16 novembre 2022

ÉNERGIE

COP27 : L’Afrique, eldorado pour le développement de nouveaux projets fossiles qui profitent aux autres

En pleine COP27 sur le climat, une COP africaine qui se déroule en Egypte, un nouveau rapport de l'ONG Urgewald vient pointer le niveau très élevé de projets d'énergies fossiles sur le continent. TotalEnergies apparaît comme le premier développeur de projets fossiles en Afrique. Des projets le plus souvent tournés vers l'étranger, qui ne bénéficient pas aux populations alors que 600 millions d'Africains n'ont toujours pas accès à l'électricité.

Un puits de petrole onshore en fonctionnement a la peripherie de Muanda a la pointe sud ouest de la Republique democratique du Congo ALEXIS HUGUET AFP
Un puits de pétrole onshore en fonctionnement à la périphérie de Muanda, à la pointe sud-ouest de la République démocratique du Congo.
ALEXIS HUGUET / AFP

Depuis 2017, 886 000 km2 ont été autorisées pour de nouvelles explorations pétrolières et gazières en Afrique. Une superficie plus grande que celles de la France et de l'Italie réunies. C’est ce que révèle un nouveau rapport, publié mardi 15 novembre, par Urgewald, Stop EACOP, Oilwatch Africa, Africa Coal Network et 33 autres ONG africaines. Les auteurs identifient ainsi 200 entreprises qui explorent ou développent de nouvelles réserves et infrastructures de combustibles fossiles telles que des terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL), des pipelines ou des centrales électriques au gaz et au charbon dans 48 des 55 pays africains.

Les dépenses totales pour l'exploration pétrolière et gazière en Afrique sont passées de 3,4 milliards de dollars en 2020 à 5,1 milliards de dollars en 2022. Mais les entreprises africaines représentaient moins d'un tiers de cette somme. La majeure partie de l'exploration de nouvelles ressources pétrolières et gazières en Afrique est ainsi réalisée et financée par des sociétés étrangères. De même, si de nouveaux terminaux GNL vont voir le jour, augmentant de 116 % la capacité actuelle des terminaux GNL en Afrique, plus de 97% d'entre eux sont construits pour l'exportation, principalement vers l'Europe et l'Asie.

"La dépendance aux combustibles fossiles de l'Europe est un moteur majeur derrière les nouveaux projets de GNL en Afrique. La ruée vers le pétrole et le gaz de l'Afrique n'a rien à voir avec l'amélioration de l'accès à l'énergie pour les Africains", déplore Anabela Lemos, directrice des Amis de la Terre Mozambique. Pour rappel, en Afrique, 600 millions de personnes sont toujours privées d’électricité. "Les combustibles fossiles sont à l'origine de la crise climatique et l'Afrique est plus durement touchée par cette crise que tout autre continent. Pourtant, 200 entreprises charbonnières, pétrolières et gazières inondent le continent de projets d'énergie sale totalement incompatibles avec les objectifs climatiques de Paris et la limite de 1,5°C", s'insurge Omar Elmawi de la campagne Stop EACOP.

TotalEnergies est le plus grand développeur de nouvelles ressources pétrolières et gazières en Afrique

Parmi ces 200 entreprises, c’est le Français TotalEnergies qui arrive en tête et qui décroche le titre de plus grand développeur de nouvelles ressources pétrolières et gazières en Afrique, loin devant l’Algérien Sonatrach et l’Italien Eni. La major tire déjà 25% de sa production d'hydrocarbures d'Afrique et vise à ajouter 2,27 milliards de barils équivalent pétrole à son portefeuille à court terme. L'extraction et la combustion de ces nouvelles ressources équivaudraient à trois années d'émissions annuelles de gaz à effet de serre de la France.  

Son projet Eacop/Tilenga est l’un des plus emblématiques et des plus contestés aussi. Mais il y en a d'autres, comme celui en Afrique du Sud. La major a fait une demande de licence en septembre dernier pour exploiter deux importants gisements gaziers en eaux profondes. Les ONG s’inquiètent de l’impact de ce projet dans une zone riche en biodiversité, "qui se trouve sur la route de migrations de baleines, de cachalots", indique Claire Nouvian, la présidente de Bloom, qui a lancé une campagne de mobilisation.

Du côté des investisseurs, c’est le géant américain BlackRock qui arrive en tête des financements de l'expansion des combustibles fossiles en Afrique avec des actifs de plus de 12 milliards de dollars. Le premier banquier des développeurs de combustibles fossiles en Afrique est Citigroup (5,6 milliards de dollars), suivi de JPMorgan Chase (5,1 milliards de dollars) et de BNP Paribas (4,6 milliards de dollars). Selon le rapport des ONG, 71% du soutien bancaire aux développeurs de combustibles fossiles en Afrique provenaient de banques membres de la "Net Zero Banking Alliance", qui défend l’objectif 1,5°C.  

Les économies africaines perdent 5 à 15 % de croissance du PIB par habitant chaque année 

À l’inverse, le développement des énergies renouvelables sur le continent est à la traîne. Selon une nouvelle analyse d’Energy Monitor, contrairement au reste du monde, les installations solaires photovoltaïques ont fortement chuté en Afrique en 2020, et en 2021 elles sont restées en dessous de leur niveau pré-pandémique. Ainsi, à peine 1,6 gigawatt a été installé en 2021 sur le continent, soit environ 1% de ce qui s'est installé ailleurs dans le monde... "L'Afrique possède 39% du potentiel renouvelable total du monde, mais les investisseurs étrangers continuent de financer un avenir fossile pour notre continent", regrette Bobby Peek de la campagne Life After Coal en Afrique du Sud.

Les investissements dans les énergies renouvelables ont également chuté dans le continent, selon un rapport du cabinet BloombergNEF publié pendant la COP27. Alors que dans le monde ils ont grimpé de 9 % sur un an pour atteindre leur plus haut niveau historique l’an dernier, ils ont chuté de 35 % en Afrique, qui ne représente que 0,6 % des 434 milliards de dollars investis dans les énergies renouvelables à travers la planète.

L’Afrique, qui ne représente que 3% des émissions mondiales subit de plein fouet les conséquences du changement climatique. Et le paye cher : les économies africaines perdent 5 à 15% de croissance du PIB par habitant chaque année en raison du changement climatique. Selon le Giec, l'Afrique subsaharienne pourrait perdre 12% de son PIB d'ici 2050 et 80% d'ici 2100. Dans la plupart des pays africains, le PIB par habitant serait inférieur d'au moins 5% d'ici 2050 et de 10 à 20% d'ici 2100 dans un scénario de réchauffement de 2°C par rapport à 1,5°C.

Concepcion Alvarez @conce1


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