Publié le 23 octobre 2014

ÉNERGIE

A Fort Berthold, les inégalités se creusent

L’or noir ne profite pas à tous, dans la nation indienne de Fort Berthold. Des réussites flamboyantes côtoient des vies de misère. C’est la fin du mirage pour ceux qui touchent des royalties pour l’exploitation de leurs terres. Ils voient les bénéfices de cette ruée pétrolière disparaître dans toute autre chose que la mise en place de structures de santé ou d’allocations. Ou comment une bénédiction peut se transformer en malédiction. 

Entrée du Tribal Trailer Park, à l'extérieur de New Town. Un camp d'Indiens a été déplacé du centre-ville suite à l'augmentation des loyers.
© Compte Facebook de Joletta Birdbear

Parmi les élites indiennes, la ruée vers l’or noir compte quelques grands gagnants, que l’universitaire David Wilkins définit comme "ceux qui parviennent à naviguer à la fois dans le monde tribal, le monde du business et celui de la politique".

Des réussites flamboyantes parfois teintées de fraude, comme pour l’ancien directeur du casino de Fort Berthold, Spencer Wilkinson Jr. Quand les dirigeants de la tribu lui vendent, lors des premiers soubresauts du boom en 2007, un territoire immense de 344 km2, c’est pour une bouchée de pain: 14 millions de dollars.

Trois ans plus tard, Wilkinson revend ses terres aux compagnies pour 70 fois leur valeur, et en obtient 925 millions. Une plus-value hors normes, qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du FBI et de l’IRS (l’équivalent de notre Direction générale des impôts).

L’enquête avait été réclamée par Tex Hall, l’actuel président du conseil tribal qui, après quatre ans d’exercice, est aujourd’hui à sont tour accusé d’abus de pouvoir et conflits d’intérêts par un adversaire politique.

 

Une répartition des gains incontrôlée

 

Ces affaires retentissantes masquent une réalité: l’activité pétrolière n’a pas rendu tous les Indiens richissimes. Les 14 000 membres de la tribu se partagent 2 000 titres de propriété, selon Roger Bird Bear, président de l’association des propriétaires de Fort Berthold.

Dans la pratique, la fourchette des royalties mensuelles s’étale entre quelques centaines de dollars et jusqu’à dix mille; ces sommes sont souvent partagées entre membres de la famille. Pour ceux qui ne possèdent pas de terres – et qui, souvent, vivent dans des mobile homes –, les conditions de vie sont à l’inverse chaque jour plus difficiles.

Les parkings, rachetés par les compagnies pour y loger leurs travailleurs, deviennent inabordables, et les locataires incapables de s’acquitter du loyer sont tout bonnement expulsés. Le camion caritatif de Wendy Wells, une mère de famille, passe régulièrement dans la réserve "pour offrir des repas et des coupes de cheveux".

Les aides aux familles n’ont pas augmenté, elles s’élèvent à 500 dollars par an, en cas d’accident ou pour les funérailles d’un proche.

Le conseil tribal, qui doit gérer des sommes jamais vues (131,8 millions de dollars de taxes en 2013 sans compter les royalties), est pris à partie pour mettre en place un système d’allocations, ou réinvestir l’argent dans la santé ou les technologies. Mais l’argent est en grande partie englouti dans le maintien des infrastructures, selon les argentiers de la tribu.

Ailleurs dans le Bakken, les comtés ont obtenu un appui financier de Bismarck, la capitale d’un Dakota du Nord désormais en excellente santé financière, pour entretenir les routes; mais en tant que nation indienne, Fort Berthold doit payer elle-même l’entretien de ses voies. "C’est une course sans fin, résume Dennis Fox, membre du conseil. On essaie de muscler nos infrastructures. Personne n’avait anticipé les hordes de travailleurs, l’impact sur les routes, l’habitat..."

 

Très peu de chômage, mais pour combien de temps ?

 

Le jeu en vaut-il donc la chandelle ? Certes, le niveau de vie global des Indiens a augmenté. Le taux de chômage, comme dans tout le Bakken, plafonne à 6%. Chez les plus âgés, il flotte un sentiment de revanche vis-à-vis de Washington qui, soixante-dix ans plus tôt, détruisait les villages au bord du Missouri pour les parquer sur des plateaux arides.

Mais la nature et la tranquillité, les biens les plus précieux de cette région coupée du monde, ont définitivement disparu. Dès que l’extraction du pétrole ne sera plus rentable, les compagnies partiront, coupant le robinet des royalties, mais en laissant des dégâts environnementaux dont les autorités reconnaissent ne pas deviner l’ampleur. Les experts estiment que le boom ne durera encore que dix ans.

"Le pétrole à Fort Berthold, c’est à la fois une bénédiction et une malédiction, devisait Tex Hall peu après son élection en 2011. Si l’on s’y prend mal, qu’on le laisse nous submerger... il deviendra vraiment une malédiction." 

Maxime Robin
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