Publié le 27 janvier 2014

ÉNERGIE

La décontamination autour de la centrale de Fukushima, une gageure

Des milliers de kilomètres carrés contaminés pour des années, des décennies, voilà les conséquences réelles de l'accident de Fukushima qui a obligé quelque 160 000 personnes à partir et qui a rendu inhabitables pour longtemps une dizaine d'agglomérations. L'expression josen sagyo, soit le travail de décontamination, représente le plus gros défi environnemental qu'aient jamais eu à relever les Japonais.

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© Noriko Hayashi / Greenpeace

A Naraha, à une quinzaine de kilomètres du complexe atomique de Fukushima mis en péril par le tsunami du 11 mars 2011 et d'où se sont échappées des quantités effarantes de radionucléïdes, des courageux s'adonnent depuis des mois aux travaux de décontamination. Ils raclent la terre, fauchent, emplissent des centaines d'énormes sacs noirs, qu'ils laissent dans les champs, le long des routes, ou entassent sous des bâches.

Un travail de décontamination qui pose de nouveaux problèmes

Pour décontaminer, il n'y a pas de techniques miracles: il faut enlever au maximum ce qui est souillé, trier, entasser. L'Etat et les collectivités locales emploient indirectement environ 20 000 personnes pour faire ce travail qui ne produit rien, ne rapporte rien, sinon des problèmes supplémentaires de gestion sanitaire. Ces individus, souvent peu qualifiés, sont en théorie assimilés à des travailleurs du secteur nucléaire et doivent bénéficier du même suivi, avec un dosimètre en permanence sur eux, un carnet d'exposition radioactive et une limite légale de 50 millisieverts par an (et pas plus de 100 millisieverts en 5 années consécutives). Dans la pratique, il est difficile pour le gouvernement de contrôler que toutes les règles sont bien appliquées sur le terrain. Les premiers contractants pour les chantiers (des grosses entreprises de travaux publics) font appel à une enfilade de sous-traitants (quelque 700 au moins selon des documents du ministère de l'Environnement), des petites sociétés locales qui n'ont pas de personnel formé en radioprotection et qui contractuellement ne sont pas responsables de la surveillance, cette tâche étant celle du premier contractant. De plus, l'arrestation en fin d'année dernière de mafieux infiltrés dans le réseau de sous-contractants d'une entreprise de BTP mandatée par l'Etat, Obayashi, a prouvé qu'une partie du marché est captée par les yakuzas. Des soupçons pèsent également sur certains recruteurs qui n'hésiteraient pas à enrôler des sans domiciles fixes ou des simples d'esprit, qui se font soutirer les neuf-dixième de leur maigre salaire.

Quelque 1 800 milliards de yens (12 milliards d'euros) ont déjà été engagés par les pouvoirs publics dans ces opérations qui s'étendent bien au-delà de la seule préfecture de Fukushima. L'Etat est chargé des 11 agglomérations situées à moins de 20 kilomètres du complexe atomique ou dont la dose d'exposition radioactive dépasse 20 millisieverts/an (en plus du niveau naturel). Les collectivités locales s'occupent, elles, de 100 municipalités toujours habitées de la province de Fukushima et de sept autres préfectures (Tochigi, Ibaraki, Saitama, Gunma, Chiba, Miyagi et Iwate) où cette dose dépasse 1 millisievert par an en restant inférieure à 20. Les écoles et autres lieux que fréquentent les enfants y sont traités en priorité. « C'est la compagnie gérante de la centrale, Tokyo Electric Power (Tepco), qui doit payer, mais l'Etat avance l'argent », précise Tsutomu Sato, un fonctionnaire du ministère de l'Environnement chargé de la gestion de la décontamination.

La zone de Fukushima : un puzzle de radioactivité

Et que fera-t-on ensuite des 15 à 28 millions de tonnes de déchets attendus ? Là est tout le problème: à part stocker dans un lieu isolé et protégé, il n'y a guère de solution. Alors l'Etat nippon a déjà décidé de mettre une nouvelle fois la main au portefeuille pour payer les quelque 1100 milliards de yens (7,7 milliards d'euros) jugés nécessaires pour acheter des kilomètres carrés de terrain, bâtir et exploiter pendant des décennies un ou plusieurs lieux d'entreposage. Les ex-habitants des zones pressenties sont réticents à céder leurs terres, ils n'avaient pas grand espoir de rentrer un jour, mais craignent que la construction d'un site de stockage de détritus radioactifs ne condamne éternellement les lieux, même si le gouvernement affirme que ce sera "temporaire".

Aujourd'hui, la zone évacuée de Fukushima ressemble à un puzzle, découpé en fonctions des niveaux de radioactivité ambiante: aucune n'est encore jugée habitable, mais le retour des habitants se prépare dans les moins touchées. L'Etat espérait initialement n'autoriser le retour qu'une fois l'exposition ramenée à moins de 1 millisievert par an (la dose-limite habituelle), mais il est désormais enclin à considérer que tout niveau en-deçà de 20 millisieverts est admissible, suivant en cela les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui s'appuie sur les textes de la Commission internationale de la protection radiologique (ICRP). Dans les faits, chaque collectivité locale devra d'abord remettre en place les infrastructures et décider en concertation avec ses administrés, ce qui garantit de difficiles et longues discussions avec des questions inévitables: qui autoriser ? Peut-on admettre les mêmes critères pour les adultes et les enfants, quel suivi sanitaire, quelles aides ?

Karyn Nishimura
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