Publié le 12 juillet 2022

ÉCONOMIE

Vivre sans supermarché : le rempart à la surconsommation et la crise agricole

Pizzas et chocolats contaminés, œufs au fipronil, vache folle… chaque scandale alimentaire incite les consommateurs à se détourner des supermarchés pour emprunter le chemin des circuits courts. Cette alternative au modèle agro-industriel est aussi un rempart à la détresse du monde paysan, la surconsommation, le suremballage ou au gaspillage induits par les supermarchés. Toute la semaine, Novethic explore les nouvelles façons d’aborder la sobriété, dans une série "vivre sans".

 

 

Supermarche alimentation istock
Plus de 80% des aliments sont aujourd’hui vendus en supermarchés.
iStock

Cet été, des vacanciers vont se rendre sur les marchés paysans de leur lieu de vacances, pour déguster des fruits et légumes locaux et de saison. Ils vont même pousser la porte du producteur du village où ils ont posé leurs valises pour y découvrir des mets régionaux. Certains touristes vont facilement se passer de supermarchés sans vraiment s’en rendre compte. Et, qui sait ?, peut-être y prendre goût... Au-delà de la période des vacances, des citoyens tentent d’en convaincre d’autres de changer leurs habitudes et de se sevrer des supermarchés et du modèle agroalimentaire toxique.

C'est ainsi que le défi "février sans supermarché" organisé chaque année en France depuis 2018 incite les participants à découvrir d’autres systèmes de distribution près de chez eux. Pour les aider, le collectif "En vert et contre tout" a créé des groupes Facebook locaux où s'échangent astuces et bons plans pour ne pas craquer. Ces lieux de discussion ne disparaissent pas une fois le défi terminé car l'enjeu est d’encourager ceux qui l'ont relevé à maintenir leurs nouvelles habitudes. Car au-delà de l'aspect ludique qui peut prêter à sourire, les conséquences de ces changements sont majeures à l’échelle individuelle comme au niveau collectif.

Un appauvrissement du monde agricole

En effet, ces pratiques contribuent à l’essor d’un modèle alternatif, alors que plus de 80% des aliments sont aujourd’hui encore vendus en supermarchés. Ce système dominant contribue à l'appauvrissement du monde paysan. Les agriculteurs appartiennent en effet à la catégorie socio-professionnelle qui accuse le plus haut taux de pauvreté et ils sont endeuillés par un taux de suicide particulièrement élevé. Les paysans font faillite et les fermes disparaissent. Elles étaient 2,8 millions en 1995 contre 390 000 aujourd’hui. Le système d’agro-alimentation vendu en supermarchés pousse aussi les exploitations à s’agrandir pour être plus rentables : la surface agricole d’une ferme est passée de 24 hectares en 1988 à 69 hectares en 2020, soit une augmentation de 183 %. Par ailleurs, d’ici 2030, un quart des agriculteurs va partir à la retraite mais, dans ce contexte, les nouvelles générations se font attendre.

Les circuits-courts apparaissent comme un rempart au déclin de la paysannerie en France. Ce mode de distribution, qui compte un intermédiaire maximum, laisse les producteurs libres de déterminer leurs prix, gage d’une rémunération décente. Ainsi, les ventes directes à la ferme, en AMAP, en épiceries paysannes ou coopératives, auprès des producteurs sur les étals des marchés sont autant de solutions pour soutenir des paysans de plus petites fermes aux méthodes de production plus vertueuses, artisanales et sans suremballage.

Les prix ne sont pas plus élevés

Concernant la sempiternelle question des prix pour les clients, les différentes expériences menées* constatent qu’ils ne sont pas plus élevés, à qualité de produits comparable. De fait, la réduction du nombre d’intermédiaires allège les prix et l’absence d’incitation à surconsommer réduit le gaspillage et les achats inutiles.

Le bémol est que les consommateurs doivent être prêts à y consacrer plus de temps. Il est souvent nécessaire de se rendre dans plusieurs lieux pour se procurer ce que le supermarché concentre en un seul endroit (ce qui a fait son succès). Par ailleurs, les clients des circuits courts achètent essentiellement des produits bruts donc mieux vaut être prêt à cuisiner davantage des fruits et légumes locaux et de saison ou fabriquer des produits d'entretien.

Toutefois, même si le jeu en vaut la chandelle, la tendance est à la baisse pour les circuits courts depuis la fin des confinements, alors qu’ils avaient fait le plein au plus fort de la pandémie. Pourtant, la situation est critique : la guerre en Ukraine, la hausses des prix ou les tensions géopolitiques fragilisent encore un peu plus les producteurs.

Mathilde Golla @Mathgolla

*"100 jours sans supermarché" (Flammarion) Mathilde Golla


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