"Fais du shopping comme un milliardaire." Le slogan de la nouvelle plateforme de commerce électronique chinoise Temu (prononcer "Ti-mou") annonce la couleur. Créée en juillet 2022 et déployée progressivement aux États-Unis, en Australie puis en Europe, la marque ultra low-cost a débarqué en France au mois d’avril dernier. Depuis, sa popularité ne cesse de grandir : son application est devenue en seulement quelques mois la plus téléchargée dans l’Hexagone.

Derrière ce succès se cache PDD Holdings, une entreprise chinoise également à l’origine de Pinduoduo, un autre site d’e-commerce dont le chiffre d’affaires a dépassé les 5,4 milliards de dollars au premier trimestre 2023. Fort de ces résultats, PDD Holdings a décliné sa recette gagnante pour conquérir un marché plus occidental, au point de concurrencer sérieusement des acteurs du secteur déjà bien installés. "Ce que l’on observe avec les premiers chiffres, c’est que Temu a pris une sacrée part de marché en France sur des marques comme Kiabi, AliExpress, mais aussi Shein", expliquent à Novethic Laëtitia Lamari et Adrien Naeem, analystes e-commerce. 

Une analyse qui n’a rien d’étonnant. Temu et Shein partagent de nombreuses similitudes, à commencer par le prix. Temu propose ainsi des robes à partir de 3,28 euros et des chaussures de sport pour seulement 6,11 euros. Mais à la manière d’un grand bazar, les clients y trouvent aussi des jouets, de la décoration ou de l’électronique, le tout expédié directement depuis des "milliers d’usines qui fabriquent les produits à la demande en Chine", note Adrien Naeem. Sur ce point, Temu se différencie en adoptant un business model plus proche de celui d’Amazon. À l’inverse de Shein, qui commercialise des vêtements et accessoires qu’elle développe en interne, ce qui représente un coût pour la marque de real-time fashion, Temu fait office de market place où les fournisseurs ajoutent leurs propres produits. 

Une différence qui s’arrête cependant ici : côté expérience utilisateur et stratégie marketing, les deux plateformes font usage des mêmes méthodes décriées. "Grâce à un système de gamification et un catalogue infini, le client est extrêmement engagé et poussé à rester sur l’application", observe Laëtitia Lamari. Temu va même un cran plus loin en mettant en place des jeux de parrainage, permettant aux acheteurs de recevoir gratuitement des produits et poussant à la surconsommation. L’entreprise utilise en outre des "techniques de manipulation dans les interfaces qui ne sont pas éthiques, comme l’usage des données clients ou l’intelligence artificielle, pour analyser le comportement des consommateurs et augmenter la viralité", souligne Adrien Naeem.

Sur le plan marketing, enfin, Temu applique les mêmes principes que Shein en faisant appel à des micro-influenceurs pour promouvoir son application. La marque ne lésine d’ailleurs pas sur les investissements promotionnels. En août 2023, Temu aurait publié plus de 8 000 publicités sur Facebook, Instagram et Whatsapp selon des données délivrées par Meta. Un peu plus tôt dans l’année, en février 2023, la plateforme s’était offert un spot le soir du Super Bowl, événement majeur aux États-Unis, pour la modique somme de sept millions de dollars. 

Mais alors, Temu pourrait-il prendre la place de Shein ? "Il l’a déjà dépassé", estime Adrien Naeem. "C’est très paradoxal de voir l’explosion de ce genre de market place alors que la conscience écologique est aujourd’hui très présente. Mais force est de constater qu’elles répondent à un besoin, en particulier dans un contexte inflationniste", ajoute-t-il. La bataille entre les deux firmes a en tout cas commencé. Aux États-Unis, Temu a poursuivi Shein en juillet dernier, accusant la marque "d’étouffer la concurrence, en imposant des amendes et des pénalités aux fournisseurs qui travaillent avec [Temu]", rapporte le Time. 

Outre ses concurrents, Temu est également attendu au tournant par les autorités qui s’interrogent sur ses pratiques. Soupçonné d’utiliser un logiciel espion au travers de son application, selon un rapport du cabinet Grizzly Research, Temu est par ailleurs dans le viseur de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en France. Celle-ci a ouvert une enquête sur la qualité des produits vendus sur la plateforme. En 2020, l’administration avait obtenu le déréférencement de la plateforme Wish. Parmi les motifs de son interdiction, la dangerosité de certains produits, comme des bijoux fantaisies, des jouets et des appareils électriques.

Florine Morestin