Publié le 19 janvier 2023

ÉCONOMIE

Retraite à 64 ans : crispation générale autour de la seule perspective de temps long offerte par le débat public

Les Français ont pris d’assaut les outils de simulation de l’impact de la réforme sur leur âge de départ à la retraite. Si le gouvernement a tout de suite annoncé vouloir faire passer le projet aux forceps, les grèves et les manifestations témoignent de l’opposition à l'âge de départ à 64 ans. La réforme aurait pu être l'occasion de lancer un grand débat sur tous les sujets qui lui sont liés sur l’emploi des seniors, la formation, la santé dans l’emploi et après, le rôle des retraités bénévoles dans la société et même la prise en charge des personnes âgées. Des sujets cruciaux pour se projeter dans un monde qui fait face à des crises structurelles.

Manifestation contre les retraites 190123 NICOLAS TUCAT AFP
Manifestations contre la réforme des retraites à Marseille le 19 janvier 2023.
NICOLAS TUCAT / AFP

Trois ans après la grande paralysie de l’automne 2019 dans les transports, la réforme des retraites est de retour devant le Parlement ... mais aussi dans la rue. Décaler de deux ans l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est le pilier de la réforme que le gouvernement veut faire adopter quoi qu’il en coûte. Pourtant elle cristallise un front syndical uni contre le projet qui suscite le rejet d’une grande majorité des Français selon les sondages. Inquiets, ils se sont précipités sur l’outil de simulation gouvernemental pour savoir ce que l’avenir leur réserve.

Face aux limites des serveurs publics, les grand medias ont, à leur tour, lancé leurs outils de simulation, conscients que le sujet concerne tous les Français. À la différence de la précédente réforme Touraine de 2014 et des mouvements sociaux de grande ampleur de 2019 centrés sur les régimes spéciaux, le décalage de l’âge légal de départ à la retraite percute une réflexion plus globale sur la place du travail et la projection dans un temps de retraite associé jusque-là à un repos mérité et rendu nécessaire par son état de santé. Issu du Conseil National de la Résistance, le régime de sécurité sociale et de retraite français repose sur la solidarité entre générations et la volonté de "débarrasser les Français des angoisses du lendemain".

Une réforme qui s'appuie sur une hypothèse de plein-emploi

En 2022, les "angoisses du lendemain" se sont généralisées sur tous les fronts, sociaux avec l’augmentation de la précarité et de la pauvreté sur lesquelles les associations comme le Secours Catholique ne cessent d’alerter, mais aussi sur le front environnemental où la crise climatique commence à produire ses effets. Cela entraine une éco-anxiété qui prend de l’ampleur et un débat plus global sur la croissance et ses modes de calcul

Or la réforme repose sur les modélisations macro-économiques du Conseil d’Orientation des Retraites qui n’intègrent pas ces données. Son rapport de septembre 2022 prévoit que "de 2032 à 2070 la part des dépenses de retraite reste stable, entre 13 et 14 % du PIB, mais que la situation financière du régime va se dégrader dans les dix ans à venir." La réforme permettra donc selon le gouvernement de compenser cette dégradation programmée mais elle repose pour atteindre son but sur "une hypothèse de plein-emploi, avec un taux de chômage de 4,5% en 2027, une croissance de 1% en 2023 et le recul de l’inflation qui influence le niveau des pensions, à partir du second semestre 2023".

"La réforme des retraites est bien une question d’écologie"

Au-delà de la question de la probabilité de réalisation de ce scénario macro-économique, les impacts sociétaux de ce décalage ne sont eux pas simulés. Quid des 7 millions de bénévoles dans les associations qui sont des retraités ? Quid des plus de 55 ans au chômage qui mettent en moyenne plus de trois ans à retrouver un emploi ? Quid des demandeurs d’emploi de plus de 60 ans dont le nombre a fortement augmenté depuis 2010 selon Pôle Emploi ?

Toutes ces questions ne sont pas embarquées dans une réforme intégrée au projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (LFSSR). Les manifestations auxquelles s’agrègent syndicats, partis politiques de gauche et ONG environnementales tentent d’élargir le débat à l’image du rapport publié par Greenpeace qui explique que la réforme des retraites est bien une question d’écologie parce qu’elle "va peser sur les populations les plus vulnérables qui sont aussi exposées à la précarité énergétique, à la crise climatique et aux pollutions environnementales".  

Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic


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