Publié le 18 novembre 2022
ÉCONOMIE
Qatar 2022 : La Coupe du Monde capable de tuer la poule aux œufs d’or
Le coup d’envoi de la coupe du monde de football la plus controversée sera donné dimanche au Qatar. Au très lourd bilan social et environnemental de son organisation dans un pays qui doit planifier 160 rotations d’avion par jour pour acheminer les supporters vers les stades, on doit ajouter le coût sanitaire des joueurs, blessés pour cause de calendrier devenu beaucoup trop intense. Peu importe finalement qui gagnera cette coupe. Son bilan est d’ores et déjà suffisamment problématique pour menacer le système du foot business, né dans les années 70.

@ACHT
Les appels au boycott de spectateurs pour la Coupe du Monde se multiplient. Des contre-soirées avec diffusion des matches de 1998 sont même organisées dans des bars. Il sera sans doute difficile de quantifier le phénomène (comment compter ceux qui auraient pu regarder les matches et ne le feront pas ?). Mais il a suffisamment d’ampleur pour menacer ce qui est devenu l’essentiel du business lié à la Coupe du Monde : les droits de diffusion et de publicité de cet événement planétaire.
Pour l’occasion le petit livre "Comment ils nous ont volé le football : la mondialisation racontée par le ballon", qui vient d’être réédité, est très instructif. François Ruffin est l’un des auteurs, avec Antoine Dumini et Cyril Pocréaux, de ce précis de l’histoire du foot business dont la première publication date de 2014. Ils y racontent la transformation des coupes du monde, devenues le meilleur moyen d’ouvrir des marchés de produits dérivés (maillots, écharpes et autres) à ceux qui ont les moyens de les payer. Le foot business, né dans les années 70 avec l’élection du brésilien Joao Havelange à la tête de la Fifa, a fini par faire de la fédération internationale du football, une multinationale, alliée des multinationales.
Spectaculaire hausse des recettes liées aux droits télé
Le premier partenariat de sponsoring d’Adidas et Coca Cola pour une Coupe du monde date de 1976, mais ce qui a permis de transformer les revenus du football et les salaires des joueurs de millions d’euros en milliards, c’est le développement des droits télé pour la diffusion des matches. Nés avec la télévision payante à la fin des années 80, ce sont eux qui ont fourni à Canal Plus ses bataillons d’abonnés. "En 1980, un club pro vivait de ses ventes de billets, de ses fanions et de ses baraques à frites", écrivent les auteurs du livre. "Les droits télé ne représentaient que 1% de ses recettes contre plus de 50% aujourd'hui", ajoute-t-ils.
Ils donnent des chiffres. En 1986, les droits télé ont rapporté 30,5 millions d’euros et en 2010, 2,1 milliards, soit 6285% de hausse en moins de 15 ans ! Le prix des joueurs a lui aussi suivi des courbes exponentielles. Le joueur français Maxime Bossis, star du club de Nantes, est le premier à négocier un gros contrat avec le Racing en 1985 pour un salaire mensuel de 112 000 euros et un transfert à 5,6 millions d’euros. À titre de comparaison la valeur sur le marché du football de la star française Kylian Mbappé qui joue au PSG détenu par le Qatar, dépasse les 200 millions d’euros et son salaire mensuel est estimé à 6 millions d’euros. Ces chiffres astronomiques sont susceptibles de varier grandement en fonction de l’état de santé des joueurs et de leur capacité à disputer des matches dans leurs clubs comme en équipe nationale.
Controverses en série
Le fait d’organiser la Coupe du monde au Qatar a changé tout le calendrier des compétitions puisqu’il était impossible d’y jouer en été. Elle se déroule donc en novembre et en plein milieu des championnats. L’enchaînement des matches que cela implique, a d’ores et déjà un coût pour les équipes et les clubs qui ont perdu des joueurs précieux pour cause de blessures. De Paul Pogba pour la France (valeur estimée à 35 millions d’euros) à Sadio Mane pour le Sénégal (valeur estimée 60 millions d’euros), en passant par Timo Werner pour l’Allemagne (valeur estimée à 40 millions d’euros). Ces joueurs emblématiques manquent déjà à leurs clubs qui payent ces prix de transfert et manqueront à ceux qui privilégient la compétition sportive sur le boycott d’un évènement controversé pour cause de corruption sur les conditions d’attribution, de violations de droits humains par le Qatar et de l’aberration environnementale consistant à construire des stades climatisés en plein désert.
Dès l’attribution de la Coupe du monde au Qatar en 2010, les controverses ont commencé mais elles ont pris une ampleur considérable à l’approche de l’évènement. La Fifa dont le président Gianni Infantino s’est installé au Qatar alors que l’organisation est basée en Suisse, tente de limiter la casse. Elle a par exemple interdit à l’équipe danoise de s’entrainer avec des maillots en faveur des droits humains et invite à se "concentrer sur le football". Mais si les meilleurs joueurs de la planète payent un trop lourd tribut à cette coupe du monde loin de leurs conditions habituelles de match, Qatar 2022 pourrait achever de dévaloriser l’image de la compétition. Or c’est elle qui vaut de l’or beaucoup plus que la compétition sportive par elle-même !
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic