Non ! Car seul l’objectif de baisse de la consommation d’énergie est visé. Mais il n’est pas pensé de façon stratégique et systémique. Le gouvernement encourage à réduire la consommation d’énergie de 10%, peu importe la méthode. Cette démarche permettra peut-être de réduire temporairement la consommation d’énergie mais cela ne s’inscrira pas sur le long terme. Le risque est aussi d’obtenir une forme de "sobriété bashing". Pour réduire durablement la consommation d’énergie, il faudrait élaborer une réponse qui s’inscrive dans le temps long. Il faut créer des principes et systématiser les démarches. Il n’y a pas de sobriété sans plan stratégique. 

Par exemple, il faut changer les modèles économiques, se tourner vers l’économie du partage et œuvrer à rendre la sobriété et le minimalisme désirables. Il faut aussi faire évoluer les mentalités et passer du "just in case buying" qui débouche sur la surconsommation au "just in time renting" qui privilégie l’usage des biens à leur possession. À l’image, par exemple, de Decathlon qui accélère dans la location et transforme son modèle économique. Les médias aussi ont un rôle à jouer en mettant en valeur des solutions ingénieuses au service de la sobriété. Les entreprises comme les décideurs politiques doivent inciter à faire mieux avec moins, c’est tout l’enjeu de l’innovation frugale. 

Comment votre concept "d’innovation frugale" est-il né ?

J’ai côtoyé ce modèle vertueux basé sur le système D dans mon enfance. J’ai grandi en Inde dans les années 70, période où l’on vivait avec les rationnements d'eau et d'énergie. On savait optimiser les ressources et les difficultés se transformaient en opportunités pour créer plus de valeur tout en économisant de précieuses matières premières. C’est ainsi qu’un réfrigérateur qui n’a pas besoin d’électricité a vu le jour ou encore qu'un panneau publicitaire récupérateur d’eau a été créé.

Puis le concept a pris du galon quand les Occidentaux se sont emparés du sujet. Par exemple, quand Renault a, en 2004, lancé la Logan, une "voiture frugale" à bas coût. L’objectif était de produire une voiture accessible sans chichis ni "suringénierie" ! La voiture a été repensée à partir d’une page vierge depuis la Roumanie avec pour but de simplifier la production au maximum et de réutiliser tout ce qui pouvait l’être. Les ingénieurs ont repensé l’ensemble la chaîne de valeur pour réduire les coûts de production dans un esprit de "design to cost". 

L’innovation frugale repose sur trois piliers : l’inclusion, l’agilité et la durabilité. Dans la démarche, il faut d’abord s’assurer que l’on minimise l’utilisation des ressources. Ensuite le produit conçu doit répondre à un réel besoin. Enfin il doit pouvoir être produit à grande échelle et au moindre coût, sans pour autant exclure de possibles innovations technologiques. Par exemple, des ingénieurs de GE Healthcare ont inventé un électrocardiogramme portatif et rechargeable. Le besoin est évident, c'est un outil pour soigner dans les lieux les plus reculés. Les concepteurs ont mêlé de la low-tech, puisqu’ils ont réutilisé des imprimantes des années 70, et de la high-tech, car ils ont miniaturisé l’appareil grâce à des algorithmes, notamment. Puis ils ont trouvé le moyen de fabriquer en quantité et à moindre coût ce dispositif médical. 

Dans le textile, le défi des marques est de pouvoir produire à bas coût et de qualité avec de la fibre recyclée. Il faut réinventer des modèles économiques pour combiner de la production peu chère en réutilisant des matériaux existants. C’est le cas de Renaissance Textile qui va fournir 9 000 tonnes de fibres recyclées par an pour fabriquer de nouveaux vêtements "Re-made in France". 

Le but de ces "innovations frugales" est de proposer des produits abordables et performants au sens où la moindre ressource est optimisée, en adéquation avec les besoins et les valeurs des consommateurs. En ce sens, l’innovation frugale est une forme d’écoconception. C’est une forme de sobriété économique dans la production pour rendre les produits et services accessibles au plus grand nombre.

Propos recueillis par Mathilde Golla @Mathgolla