Publié le 05 septembre 2023
ÉCONOMIE
L'explosion de la demande menace les Restos du cœur de disparition
L’alerte lancée par les Restos du Cœur menacés de disparition à horizon trois ans s’ils ne trouvent pas 35 millions d’euros, a déclenché une sorte de téléthon des subventions et dons : 15 millions d’euros pour le gouvernement, 10 millions pour la famille Arnault. Reste la question fondamentale : comment lutter contre la paupérisation croissante de populations plus nombreuses ?

CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Les Restos du Cœur, l’association caritative la plus médiatisée qui distribue 35 % de l’aide alimentaire en France, sonne l’alarme. Elle constate comme toutes les autres organisations du même type, une hausse spectaculaire des demandes de bénéficiaires. Or dans le même temps l’inflation pèse lourdement sur les coûts de fonctionnement et ceux des produits alimentaires. Conséquence : le président des Restos du cœur, Patrice Douret, a annoncé dimanche 2 septembre que son organisation devrait sans doute refuser 150 000 demandeurs cette année et que face aux pertes financières prévisibles évaluées à 35 millions d’euros, les Restos du Cœur sont menacés de disparition d’ici trois ans.
Ce constat des "courbes qui se croisent" (celle de la croissance des demandes et de l’augmentation des coûts de fonctionnement) est aussi dressé par le Secours Catholique dont le déficit prévisible est de 9 millions d’euros pour 2023. Les appels à un plan d’urgence alimentaire se font de plus en plus pressants car le modèle de ces organisations n’est pas celui des entreprises. Elles n’ont pas vocation à enregistrer une croissance constante de leurs effectifs pour servir leur raison d’être : aider les plus pauvres et les plus démunis.
Révolutionner l’approche du traitement de la pauvreté
Coluche avait imaginé lors du lancement des Restos du Cœur en 1987 que leur activité serait éphémère. 36 ans plus tard, ils sont toujours là pour répondre à des besoins qui explosent non seulement de denrées alimentaires mais aussi d’écoute, d’accueil et de lien social. Pourtant les grands indicateurs économiques traditionnels semblent plutôt positifs en France : taux de chômage au plus bas, croissance moins atone que dans les pays voisins. Pour lutter efficacement contre la pauvreté, ils sont largement insuffisants. C’est ce qu’explique Esther Duflo, prix Nobel d’économie pour avoir révolutionné l’approche du traitement de la pauvreté.
Elle publie pour la rentrée cinq livres pour enfants appartenant à une collection tirée de son livre "Repenser la pauvreté". Chacun d’eux est consacré à un thème éducation, santé ou écologie et accompagné d’un texte documentaire pour les parents. L’idée n’est pas de traiter la pauvreté en général, écrasante, mais de commencer à appliquer des solutions adaptées aux populations pauvres concernées. Pour elle, les moyens d’action existent et sont nombreux mais ils ne se trouvent pas dans les stratégies macro-économiques liées à la croissance telle qu’elle est mise en œuvre aux États Unis par exemple où elle enseigne.
Croissance et politiques monétaires en cause
Dans une interview donnée à Thinkerview fin août, elle décrit ainsi la situation américaine : "Les États-Unis ont connu une croissance économique relativement robuste pendant les vingt, trente dernières années mais le revenu moyen, médian est resté quasiment inchangé donc toute la croissance économique ou presque a été capturée par le plus fortunés".
Elle souligne la désespérance sociale née de bouleversements économiques comme la captation par la Chine de l’activité de production de biens. "Aux États Unis des villes entières ont été privées de sources d’activités et d’emploi parce qu’on y fabriquait par exemple des meubles et que la fabrication de meubles a complètement disparu." Elle ajoute : "Dans les pays riches, il est particulièrement flagrant de constater la détresse psychique très profonde que cela entraîne dans ces populations que se sentent exclues et mises en cause parce qu’elles seraient responsables de leur situation". Aux États-Unis cela entraîne une diminution de l’espérance de vie.
Ces "morts de désespoir" disparaissent à 40, 50 ou 60 ans par overdose, suicide, alcoolisme aigu. Pour Ester Duflo, cela est attribuable en grande partie au modèle économique qui repose sur une croissance et des politiques monétaires destinées à faire baisser l’inflation ou le taux de chômage mais qui en oublie les solutions concrètes. Les Restos du Cœur incarnent celles mises en place par un réseau de bénévoles associés à des stars de la chanson pour remplir les paniers de ceux qui n’ont rien à qui « on donne juste à manger et à boire, un peu de pain et de chaleur parce qu’aujourd'hui, on n'a plus le droit ni d'avoir faim, ni d'avoir froid ». Près de quarante ans plus tard, les paroles de Coluche résonnent suffisamment pour créer un électrochoc momentané pour les protéger mais cela suffira-t-il ?
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic