Publié le 25 août 2022
ÉCONOMIE
"Le naufrage de Venise" d'Isabelle Autissier : Après Don't Look Up, un livre pour éveiller les consciences
Un cataclysme a englouti Venise. Le système MOSE, titanesque barrage censé protéger le ville, n'a pas fonctionné. Quelques semaines auparavant, des scientifiques sonnaient l'alerte mais faisaient face au déni de la municipalité. Incarnant toutes les émotions de la crise climatique, Isabelle Autissier signe un roman aussi réaliste que poignant sur une ville aujourd'hui en sursis. Toute la semaine, Novethic vous fait découvrir cinq livres à dévorer en cette rentrée 2022.

@Editions Stock
C'est l'histoire d'une catastrophe que les scientifiques prédisaient. Venise est engloutie. La brume et les gravats remplacent le fourmillement des touristes. "Écrire un roman est un moyen de rendre palpables des rapports du GIEC, de rendre les situations plus proches de nous et de faire en sorte que les chiffres nous parlent" explique l'autrice Isabelle Autissier sur France Inter. Première femme à avoir accompli le tour du monde en solitaire en 1991, ingénieur agronome de formation et présidente d'honneur du WWF, elle signe en 2022 "Le naufrage de Venise", une fiction étonnamment réaliste racontant le déni environnemental collectif.
Après le récit du cataclysme, le roman nous emmène quelques semaines en arrière pour savoir comment la ville s'y préparait. Le risque de catastrophe était documenté par plusieurs scientifiques mais évacué par la municipalité, confiante dans le système MOSE. Ce titanesque barrage mobile, élaboré dès les années 1980, construit à partir de 2003 et opérationnel depuis octobre 2020, vise à retenir les fortes marées, aqua alta, qui inondent la ville de plus en plus fréquemment. En cause, la montée des eaux due au dérèglement climatique et l'enfoncement de la ville causé par l'érosion.
"La question n'est pas de savoir si cela arrivera, mais simplement quand"
Comme pour ses autres romans, Isabelle Autissier s'est appuyée sur de nombreux témoignages et documents scientifiques. Les concepteurs du système MOSE indiquent qu'il permettra de contenir les eaux pendant au moins un siècle. Cependant, déjà en 2010 un rapport de l'UNESCO alertait sur les incertitudes qui menacent la ville. "Les barrières mobiles prévues (MOSE) pourraient éviter la submersion [du site du patrimoine mondial de Venise et de sa lagune] pendant encore quelques décennies, mais la mer finira par atteindre un niveau tel que même leur fermeture permanente ne pourra plus protéger la ville de l'inondation. La question n'est pas de savoir si cela arrivera, mais simplement quand", peut-on lire.
Le roman place la catastrophe dans une époque qui pourrait être la nôtre, peu après l'épidémie de la COVID-19, en mettant en scène un problème technique empêchant le bon déclenchement de MOSE. Une manière de montrer la vulnérabilité de Venise, chef d'œuvre architectural habité par des milliers d'habitants mais dont la survie dépend d'un système technique colossal coûtant déjà plus de 5 milliards d'euros. Venise a évité de peu en 2020 le classement par l'UNESCO dans la liste du Patrimoine mondial en péril. Le sujet reste toutefois majeur, le GIEC alertant de plus en plus sur la gravité du réchauffement climatique.
Vivre dans une ville en sursis
Comment peut-on continuer à vivre dans une ville en sursis ? Quelles sont les réactions des habitants et des pouvoirs locaux ? Isabelle Autissier explore tous les mécanismes du déni climatique à-travers les personnages de la famille Malegatti. Guido, le père, fils de paysan devenu riche commerçant puis conseiller aux affaires économiques de la ville, défend coûte que coûte les investissements en faveur de l'économie locale et du tourisme et voue une foi inébranlable en le système MOSE.
Face à lui, sa fille Léa affirme son militantisme contre le tourisme de masse qui accentue l'érosion, jusqu'à couper les liens avec son père. "Léa va découvrir toute la problématique de Venise, elle va se révolter contre une sorte d'avenir écrit. Aujourd'hui tout le monde le dit, Venise va disparaître" explique l'auteure dans une vidéo de l'éditeur. "Elle va se battre et se radicaliser. Elle représente cette jeune Génération qui n'accepte pas ces désordres climatiques et environnementaux en général et qui va essayer d'y faire face" poursuit-elle.
"Le naufrage de Venise" est aussi l'histoire de l'incompréhension entre les générations. En adoptant tour à tour le point de vue de Guido, celui de sa fille Léa ou encore celui du scientifique Livio, Isabelle Autissier raconte l'intensité des émotions face à la crise climatique : l'excitation du militantisme, la tristesse face au déni, les certitudes qui résistent d'abord puis se brisent... Comme un cri d'alarme, l'autrice donne corps à l'épée de Damoclès qui pèse sur de nombreuses villes.