Publié le 30 août 2023

ÉCONOMIE

La vente d'Atos à Kretinsky soulève des inquiétudes sur la souveraineté militaire française

Le groupe Atos a profité de l’été pour enclencher les étapes décisives de sa restructuration. Les dirigeants du groupe sont entrés en négociation le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky pour racheter les activités historiques de l’entreprise et prendre une part du capital dans le reste. Mais la vente décidée cet été suscite l’émoi tant dans les milieux militaires, qui craignent de voir un fournisseur stratégique passer sous contrôle étranger, que des syndicats qui alertent sur le risque de casse sociale.

Atos Bezons
Le groupe Atos a été coupé en deux nouvelles entités, Tech Foundations et Eviden.
@Atos

Un géant français du numérique est en passe de changer de main. Au beau milieu de l’été, la direction du groupe Atos, une entreprise du numérique ex-fleuron du CAC40, a acté la cession d’une partie du groupe à la société EP Equity Investment, la société appartenant au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. La direction avait au préalable scindé l’activité du groupe en deux gros morceaux, d’un côté la filiale Tech Foundations regroupant les activités d’infogérance historiques, de l’autre Eviden avec les activités en devenir (supercalculateurs, Big data, cybersécurité, etc.). Le projet consiste à céder Tech Foundations et à introduire Eviden en Bourse, afin de retrouver des marges de manœuvre financière pour cette société plombée par une lourde dette et des résultats en berne depuis plusieurs années.

Inquiétude sur les activités sensibles

L’annonce a aussitôt suscité une levée de bouclier tous azimuts. À commencer par des parlementaires, qui ont signé une tribune dans le Figaro pour déplorer la cession d’une grande entreprise française à un groupe étranger. Selon l’accord d’option de vente signé avec la société de Daniel Kretinsky, celui-ci doit en effet racheter 100% de Tech Foundations, mais devra également se porter acquéreur de 7,5% du capital d’Eviden lorsque celle-ci procèdera à sa première augmentation de capital. Il en deviendrait en même temps le premier actionnaire et pourrait siéger au conseil d’administration. L’opération est encore soumise à l’approbation de l’assemblée générale extraordinaire, qui devrait être réunie au dernier trimestre 2023.

Mais il y a un hic : une partie des activités d’Eviden concerne en effet la sécurité nationale, comme les supercalculateurs chargés des simulations sur les armes nucléaires que lui confie l’État. "L'hypothèse de voir un acteur étranger si puissant, s'approcher de nos capacités militaires ultra-sensibles, mérite toute notre attention, d'autant plus qu'il n'est pas un habitué du domaine des TIC, étant plutôt présent jusqu'ici dans l'énergie, les médias et la distribution", alertent les parlementaires dans leur tribune. Selon le magazine Challenges, des militaires au sein de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) se sont également inquiétés auprès du gouvernement du risque de voir l’un de leurs fournisseurs être repris même en partie par un groupe étranger.

Risque de casse sociale

Un consortium formé de deux sociétés françaises, Astek, une société de conseil en ingénierie, et Chapsvision, un éditeur de logiciel, a bien marqué son intérêt pour le groupe. Sans succès. Les dirigeants d’Atos préfèrent la solution Daniel Kretinsky, qui rachèterait Tech Foundations pour 100 millions d’euros en reprenant une charge de 1,9 milliard d’euros. Les délégués syndicaux CFDT du groupe proposent quant à eux une solution alternative. Ils souhaitent que l’État investisse dans Eviden afin de garantir la pérennité de la société et sécuriser ses actifs souverains, en citant notamment pour exemple Thalès. L’État, de son côté, ne montre aucun enthousiasme. La voie semble donc toute tracée pour le milliardaire tchèque qui a fait fortune notamment en rachetant des centrales à charbon et qui vient tout juste de boucler, cet été, le rachat du groupe Casino.

Les syndicats d’Atos, de leur côté, alertent surtout sur le risque de casse sociale entraîné par les cessions d’actifs. Côté CFDT, les représentants des salariés souhaitent notamment que la société de Daniel Kretinsky s’engage à garantir l’emploi dans l’entité Tech Foundations, qui compte plus de 50 000 salariés. Le risque de restructuration persiste par ailleurs aussi sur la partie Eviden, d’autant que, fin juillet, le groupe a annoncé vouloir poursuivre les cessions de certains actifs jugés non stratégiques. Un programme de cession de 700 millions d’euros vient d’être bouclé, comprenant notamment la vente à Schneider Electric d’EcoAct, la pépite spécialisée dans la décarbonation des entreprises. Atos a rajouté un nouveau programme de cession pour une valeur de 400 millions d’euros, sans préciser quels types d’activités seraient concernées.

Arnaud Dumas


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