Publié le 11 septembre 2020
ÉCONOMIE
[Édito] Reprise en "K" : la nouvelle lettre emblème d’un monde en mutation
Après avoir épuisé les métaphores alphabétiques sur la reprise, en V ou en W pour les montagnes russes de la décroissance suivie de relance, en L pour la version stagnation longue ou en U pour le retour au niveau initial, les économistes ont inventé, à l’occasion de la crise du Covid-19, un nouveau modèle en K. Il serait adapté à des temps économiques qui ne ressemblent à rien de connu.

@Foxeel
La conjonction des crises sanitaires, économiques, environnementales et sociales n’est pas vraiment intégrée dans les modèles économiques actuels. Le fait que chacune d’entre elles soit un facteur aggravant pour toutes les autres, non plus. Les économistes attitrés des grandes institutions et entreprises sont bien ennuyés. Face au "jamais vu" que représente la crise du Covid-19, certains se sont mis à observer la réalité et constater que si reprise il y avait, elle tenait beaucoup plus du K que de toutes les autres lettres évoquées précédemment : V, W, L, U*...
Cette vision en K symbolise le basculement dans un nouveau monde, bâti selon l’expression consacrée sur de la "destruction créatrice". Dans ce type de reprise, certains secteurs s’envolent, la branche haute du K, à l’image de celui de la tech. On trouve Amazon, Microsoft et Apple suivies de Tesla (qui est évaluée comme une valeur de la tech et non comme un constructeur automobile) en tête des entreprises dont la capitalisation boursière a le plus augmenté au premier semestre 2020.
D’autres secteurs s’effondrent, la branche basse du K, irrémédiablement à l’image du secteur aérien, de l’automobile et du tourisme où l’un des derniers géants, le voyagiste TUI a annoncé la suppression de 60 % de ses effectifs en juin. Le secteur ayant déjà été frappé de plein fouet par la disparition de Thomas Cook à l’automne 2019.
Accroître les inégalités
Et c’est bien là tout le problème de la reprise en K, elle se fait au détriment de l’emploi et creuse inexorablement les inégalités. Pour l’économiste américain Joe Brusuelas, économiste en chef de RSM qui a popularisé l’expression, la reprise en K est liée au découplage entre marchés financiers et l’économie réelle et favorise surtout les plus riches. Pour mémoire aux États Unis, 52 % de la capitalisation boursière est détenue par les 1 % les plus fortunés. Le dernier rapport d’Oxfam : "Covid-19 les profits de la crise" souligne le phénomène.
L’ONG y précise que "Jeff Bezos pourrait, avec les bénéfices qu’il a réalisés pendant la crise, verser une prime 105 000 dollars aux 876 000 personnes employées par Amazon dans le monde, y compris les quelque 10 000 salariés en France, tout en restant aussi riche qu’il l’était avant la pandémie de coronavirus". La reprise en K risque donc de précipiter les plus pauvres dans un monde toujours plus kafkaïen. Elle acte l’idée qu’un retour de la croissance serait loin de profiter au plus grand nombre et qu’il est indispensable d’accélérer la reconversion des secteurs au bord du gouffre. Une relance durable se fera à ce prix !
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic
*La forme de la lettre représente la forme que prendra la courbe économique en sortie de crise. Là où V indique une reprise rapide, un L indique une stagnation économique et un U une reprise plus lente.