Publié le 27 mars 2023

ÉCONOMIE

Deutsche Bank : sa mauvaise réputation s’étend au secteur bancaire

Vendredi noir dans le secteur bancaire européen. La Deutsche Bank, considérée depuis plusieurs années comme un maillon faible, a plongé en bourse, entraînant dans sa chute BNP Paribas et Société Générale. Le spectre d’une crise de ce soutien essentiel de l’économie, fait remonter à la surface les affaires et la pression bancaire pour limiter l’impact des régulations. Il relance aussi les appels des chercheurs à trouver un cadre adapté pour verdir le financement des entreprises.

Deutsche Bank Francfort Allemange Armando Babani AFP
La banque allemande Deutsche Bank ne s'est jamais réellement remise de la crise financière de 2008.
@Armando Babani / AFP

Les probabilités de défaillance des banques, comme celle du Crédit Suisse désamorcée in extremis, affolent les marchés financiers. Vendredi 25 mars, c’était le tour de Deutsche Bank dont le cours de bourse a chuté de 10% en quelques heures sous l’influence d’un scenario de faillite dans les cinq ans à venir, à 28% de risque. Celui-ci a immédiatement renchéri le prix des CDS (Credit Default Swap) de l’une des deux principales banques allemandes. Ces outils financiers rendus célèbres par la crise de 2008, servent à "s’assurer" sur les marchés financiers contre le risque de défaut.

L’action de la Deutsche Bank qui ne s’est jamais vraiment remise de la crise financière, vaut aujourd’hui dix fois moins qu’en 2007. Sa tentative d’améliorer son image en intégrant massivement des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) dans sa gestion d’actifs s’est terminée par une descente de police dans les locaux de sa filiale DWS pour greenwashing aggravé ! Son verdissement trop hâtif avait été dénoncé par une lanceuse d’alerte, Desiree Fixler, ancienne responsable finance durable de DWS.

Pour la Société Générale la probabilité d’un scenario de faillite dans les cinq ans n’est que de 13%. Mais la banque française a quand même perdu 25% de sa valeur sur le mois dernier. BNP Paribas a perdu un peu moins sur la même période (-22%), mais la première banque européenne avait annoncé début février avoir réalisé des bénéfices records en 2022 : plus de dix milliards d’euros.

La menace est bien là

Rien ne va plus dans le monde bancaire mais il faut avoir confiance. "Il n’y a pas lieu de s’inquiéter", a affirmé Olaf Scholtz, le chancelier allemand, vendredi soir. "La Deutsche Bank a fondamentalement modernisé son modèle économique et renoué avec les bénéfices", assure-t-il.

Changer les règles qui ont conduit au désastre en 2008 pour reconstruire un secteur financier solide supposé, depuis 2015, réorienter massivement ses actifs vers une économie plus verte et plus durable. Telle est la ligne officielle du secteur bancaire européen. Il espérait avoir convaincu jusqu’à ces derniers jours mais la menace est bien là. Pour Jezabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en économie à l’université Paris 1, "le nuage de la crise bancaire ne s’arrêtera pas aux portes de l’Europe". Dans sa chronique du Monde, elle précise : "si les leçons de 2008 avaient réellement été tirées, les banques centrales n’en seraient pas à devoir à nouveau tenter d’éteindre la mèche qu’elles ont elle-même allumée".

Depuis la crise financière, la chercheuse s’efforce de montrer à quel point la règlementation est insuffisante et elle encourage les citoyens à s’emparer de ce débat alors que le lobby bancaire s’efforce, lui, de leur faire croire qu’il est trop technique pour eux. Dans le livre qu’elle a écrit en 2015 "Blablabanque, le discours de l’inaction", Jezabel Couppey-Soubeyran écrit en introduction : "les garde-fous mis en place depuis la crise bancaire et financière de 2007-2008 empêcheront-ils la prochaine crise ? La réponse est non puisque ce sont les fous eux-mêmes qui posent les barrières". Elle ajoutait un peu plus loin "le lobby bancaire clame à travers les médias comme il murmure à l’oreille des gouvernants que le renforcement de la réglementation des banques mettra en péril la croissance, que le remède sera pire que le mal…Tout cela pour laisser les banques poursuivre leur course folle", loin de l’économie réelle.

Une absence totale de résilience

Christophe Revelli, professeur en finance durable à Kedge Business School, lui fait écho. Il enrage à la vue du zombie devenu un énorme monstre qu’est la fusion UBS/Crédit Suisse. Pour lui, "c’est l’exemple d’un système financier qui met en péril tout l’éco système avec une absence totale de résilience". Il encourage les banques à faire du biomimétisme pour s’inspirer des mécaniques de résilience mis en place par la nature. Ils répondent à quatre principes : une auto-organisation digne de ce nom, une compartimentation des risques pour éviter la contagion, une vraie diversité, alors que le secteur bancaire fait tout l’inverse avec des méga fusions qui amplifient le risque systémique, et enfin la circularité et le recyclage. Or selon lui, "la richesse crée par le "financystème" n’est pas recyclée dans l’économie réelle".

C’est tout le risque de la crise bancaire qui croit pouvoir être cantonnée alors qu’il faudrait, pour la résoudre, "bifurquer vers un modèle social et écologique". Jezabel Couppey-Soubeyran explique sur LinkedIn que pour "mettre en place cet autre modèle il manque encore les leviers monétaires et énergétiques adaptés et un contexte qui fasse comprendre que la transition écologique ce n’est plus le long terme mais l’urgence du moment".

Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic


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