Publié le 04 juillet 2022
ÉCONOMIE
Scandale du chlordécone : le tribunal administratif reconnaît les "négligences fautives" de l’État
Le juge administratif de Paris a reconnu l’existence de négligences fautives de la part de l’État dans l’affaire du chlordécone. Ce pesticide a été utilisé jusqu’en 1993 aux Antilles, alors qu’il était interdit en métropole et que sa toxicité était déjà connue. Le tribunal n’a en revanche pas retenu le préjudice d’anxiété des plaignants. Cette décision devrait néanmoins servir aux associations dans le cadre d’autres procédures en cours.

@CCO
L’État est bien responsable de "négligences fautives" dans l’affaire du chlordécone, aux Antilles. Des associations poursuivaient les pouvoirs publics qui avait permis l’utilisation de ce pesticide en Guadeloupe et Martinique, alors qu’elle était interdite en métropole. Dans son jugement, le tribunal administratif de Paris estime que "Les services de l'État ont commis des négligences fautives en permettant la vente d'une même spécialité antiparasitaire contenant 5 % de chlordécone", sous divers noms, et "en autorisant la poursuite des ventes au-delà des délais légalement prévus en cas de retrait de l'homologation".
Le chlordécone a continué d’être utilisé dans les champs de bananes antillais jusqu’en 1993, alors qu’il était interdit en métropole dès 1990. Sa toxicité a été reconnue par l’Organisation mondiale de la santé dès 1979. Plus de 90 % de la population antillaise est contaminée par ce pesticide. En décembre 2021, le gouvernement a pris un décret reconnaissant le cancer de la prostate comme maladie professionnelle et ouvrant droit aux agriculteurs exposés au pesticide à demander des indemnités.
Pas d’indemnisation pour préjudice d’anxiété
S’il a reconnu la responsabilité de l’État, le tribunal administratif de Paris a cependant rejeté les demandes d’indemnisation des plaignants au motif du préjudice d’anxiété. Le juge a estimé qu’à "l'exception de leur présence en Martinique ou en Guadeloupe pendant au moins douze mois depuis 1973, les requérants ne font état d'aucun élément personnel et circonstancié permettant de justifier le préjudice d'anxiété dont ils se prévalent".
"Pour le moment, ce que ce tribunal dit ne nous convient pas, puisqu'il parle de nécessité de prouver que chaque personne a subi un préjudice moral, ça ne tient pas la route. (...) La Martinique et la Guadeloupe n’accepteront pas l’impunité dans ce dossier", indique Philippe Pierre-Carles, porte-parole de l’association Martiniquaise Lyannaj Pou Dépolyé Matinik, association partie civile dans l’action collective.
Un jugement décisif
La décision du tribunal administratif reste cependant décisive, selon Christophe Lèguevaques, l’avocat de 1240 personnes ayant demandé réparation. "Cela peut servir dans le dossier pénal du chlordécone, estime-t-il. Jusqu'à présent, on avait en face de nous des industriels ou des distributeurs de ce produit qui disaient : je n'ai fait que distribuer un produit autorisé, donc vous ne pouvez rien contre moi, là, on a un tribunal qui nous dit que les autorisations des années 70 étaient illégales et donc sont susceptibles d'entraîner la responsabilité de l'État, mais aussi peuvent remettre en cause la responsabilité des distributeurs."
En 2006, une plainte avait été déposée par des associations pour empoisonnement. Les deux juges d'instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris ont toutefois annoncé le 25 mars leur intention de clore ce dossier sans prononcer de mise en examen, l'orientant ainsi vers un possible non-lieu. "Cette décision ne peut que renforcer notre position dans le dossier pénal", s'est réjoui Louis Boutrin, avocat de l'association Martiniquaise "Pour une Ecologie Urbaine", partie civile dans le dossier des plaintes pour empoisonnement au chlordécone. "Nous avons tout le champ des recours qui est ouvert et cette décision nous permettra de renforcer nos actions. Il y a un délit qui est constitué. Nous allons plus loin : il y a un crime qui est constitué", a-t-il ajouté.
Arnaud Dumas avec AFP